Après des années d’études à Paris, un jeune couple de retour au Maroc s’y retrouve confronté à un décalage inattendu. De leurs rêves et idéaux à la réalité vécue, leurs illusions ne tardent pas à s’effriter face aux antagonismes sociaux et culturels qui s’ouvrent entre eux et leur famille, viennent infléchir leur carrière, et, bientôt, s’immiscent jusque dans leur intimité au travers du rapport entre masculin et féminin.
Tous deux originaires de Casablanca, May et Chérif se sont tout de suite sentis sur la même longueur d’onde, lorsque, étudiants, ils se sont rencontrés à Paris. Rapprochés par leurs appartenances communes, leurs frustrations et aspirations de gens du Sud du monde découvrant l’Occident, ils n’ont alors pas réalisé tout ce qui, dans leur ville natale, viendrait les séparer. Elle a toujours vécu dans les beaux quartiers et leur luxe tapageur. Lui est issu d’un milieu modeste et, dans son désir d’acceptation par sa belle-famille autant que par la bonne société de Casablanca, se retrouve très vite obsédé par une obligation de réussite professionnelle. Tandis que pour le faire briller, son métier d’architecte l’amène à toujours plus de compromissions politiques, entre népotisme et conflits d’intérêts, elle, de son côté, se voit de plus en plus réduite au rôle de faire-valoir, ses travaux d’historienne désormais tout à fait secondaires, surtout depuis la naissance de leur fille.
Au travers de ce couple malgré lui sur la ligne de friction de multiples frontières et contradictions, se révèle une ville de tous les contrastes, véritable coeur du roman. De ses quartiers prestigieux aux luxueuses demeures jusqu’à son misérable bidonville que les plans d’urbanisme prévoient de reléguer loin du centre et du bord de mer, de sa classe de nantis prêts à bien des arrangements jusqu’à son humanité la plus précaire, mais aussi la plus fraternelle, c’est un brassement de puissants courants de convection qui semble animer la tectonique sociale et territoriale de cette ville protéiforme défiant les cases et les définitions pré-établies.
Enchâssant dans cette ample fermentation la gestation d’une vie nouvelle à travers les cahiers où, durant sa grossesse, May s’adresse à sa future fille et lui promet le monde meilleur, plus juste et égalitaire, pour lequel elle entend mener bataille, le récit mène une réflexion rigoureuse, lucide et engagée, sur les constructions du masculin et du féminin au Maroc, questionnant l’équilibre des pouvoirs en place. Toute en subtilité et empathie, adjoignant à son histoire de touchants personnages secondaires illustratifs d’autant de situations réelles – comme la non-reconnaissance par l’état civil des enfants nés hors mariage, qui, privés de papiers et d’identité, n’ont droit à aucune existence dans la société –, la narration est aussi un vibrant hommage à ceux qui font bouger les lignes vers plus de justice sociale et pour les droits liés au genre, en même temps qu’un chant d’amour pour cette ville et ce pays sur lesquels l’auteur porte un véritable regard d’anthropologue.
Une grande acuité d’analyse préside à cet ouvrage dont, peut-être plus que les qualités romanesques, l’on retiendra surtout la portée sociologique et l’engagement féministe. Il en résulte une lecture réellement éclairante sur les ressorts de la société marocaine et sur ce qui y construit les relations entre les hommes et les femmes.
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