C'est la première fois de ma vie que je m'essaye à l'exercice d'une critique négative. L'urgence de rédiger ne me vient en général que par amour ou obligation. Mais il y a parfois des films que l'on trouve si méprisables et complaisants qu'ils inspirent paradoxalement à écrire, mettre des mots sur un agacement. À la fin du processus, on se sentirait presque reconnaissant d'avoir vu ledit film tant il autorise, quelque part, une meilleure compréhension de soi - de son propre jugement de goût. Ainsi je ne regrette pas d'avoir vu Cashback car il m'a permis de conceptualiser ce que je n'aime pas dans le genre, ou plus exactement ce que j'assimile à de la "suffisance". Je suis relativement bon public en cinéma, si bien que je finirais presque par perdre ces limites de vue.
Sous ses allures de breakup movie métaphysique, le film de Sean Ellis commet l'impair d'être superficiel et stéréotypé sur l'intégralité des nombreux thèmes qu'il tente vainement d'aborder. Le film présente deux facettes : d'un côté c'est une encombrante comédie, finalement plus américaine qu'anglaise et qui ne s'assume qu'à moitié. D'un autre, c'est une contemplation arty, mélodramatique et éculée, qui témoigne d'avantage de l'envie adolescente d'être profond plutôt que d'un vrai travail de recherche.
Dénué d'une réelle intelligence morale, Cashback nous dépeint des personnages masculins sous la forme d'exaspérants poncifs, dont la seule facette semble être invariablement une obsession juvénile et sans nuances pour "l'objet" féminin - et ce chacun à leur façon. Je dois inclure à ces personnages ratés le narrateur, régi par une écriture complaisante de faux esthète sensible dont l'aspect un peu creep n'est jamais vraiment soulevé ou transformé en une matière pertinente. Je parle ici de femme-objet car le corps réifié est clairement la seule chose qui semble avoir de l'importance aux yeux du narrateur et de l'ensemble du casting.
Trève d'hypocrisie : il y a évidemment chez la majorité des hommes hétérosexuels une obsession pour le corps féminin. Mais celle-ci doit, même dans un film mi-léger tel que celui-ci, être présentée dans sa dimension paradoxale, humaine, avec plus de jugeote, ne serait-ce que pour servir le script et les acteurs/actrices et poser une réflexion sur la masculinité. Les frustrations de celle-ci servent, après tout, de moteur dramatique et humoristique au film. Avec un point de départ pareil, le film aurait pu en soi être bien plus intéressant et offrir un regard sur le fameux male gaze, entre critique et éloge (d'autres oeuvres en ont été capables bien avant que le concept ne soit formellement théorisé). Eh bien c'est raté et la réalité du film est malheureusement bien plus gros sabots.
On est censé accompagner le narrateur dans une rupture amoureuse qui le hante mais à aucun moment on ne nous montre quoi que ce soit de fascinant au sujet des femmes qui peuplent sa vie, présentées comme des coquilles vides, visages sans âme qui se contentent de regarder la caméra en passant par des émotions téléphonées et oubliables. Pauvres actrices, qui font pourtant ce qu'elles peuvent avec leurs rôles mal écrits, particulièrement Emilia Fox, globalement irréprochable. J'ai trouvé qu'il était extrêmement difficile de m'attacher au moindre personnage tant leur existence semble limitée aux balbutiements grossiers d'une humanité crédible : les personnages bêtes et vulgaires ne sont QUE bêtes et vulgaires, les meufs sexy ne sont QUE sexy. Les personnages doux et sensibles, censés offrir une alternative plus complexe à ce festival de clichés, souffrent dans leurs scènes d'une écriture conte de fée bas de plafond culminant dans un final frustrant, tant il est vu et revu.
En outre le regard posé sur le métier d'artiste et sur l'oeil créatif est totalement artificiel : le film ment dans sa représentation de la réalité d'un artiste afin de souligner sa morale simplette et de dorer maladroitement le blason de son protagoniste - un bel amoureux des femmes celui-là. Il prête une réussite facile "pas faite exprès" à un personnage qui ne fait pas vraiment d'effort si ce n'est celui de supporter sa propre auto-torture, alimentant ainsi encore davantage les dangereux mythes autour des artistes dont le talent "suffirait". N'importe quel praticien sait le travail que représente vraiment l'art. De plus, le nu en art est également dévoyé, puisque, s'il faut en croire le fantasme que le narrateur développe au supermarché, pour obtenir un modèle nu féminin il suffit de remonter à moitié le top et de baisser la culotte aux chevilles.
À l'issue du visionnage, je me pose de vraies questions sur le réalisateur, sur ses angoisses personnelles. Il y a un feeling très adolescent qui manque cruellement de recul, un peu comme si un frat boy s'improvisait philosophe pour essayer de plaire aux filles : le résultat est souvent gênant.
Je concéderais ceci à Cashback : l'époque à laquelle je l'ai vu m'a forcément influencé. En 2007, tout ça devait fatalement moins faire rouler des yeux et la partie légère, dont l'aspect rétrograde était alors moins évident, devait davantage combler les quelques errances du film par son agréable potacherie. Mais en ce qui concerne la part métaphysique, tout ça est bien trop maigre et approximatif. Quand je vois la justesse de certains comédrames similaires sorti 10 ans auparavant, je ne trouve pas une tonne d'excuses à ce qui reste à mes yeux un film qui fait beaucoup trop semblant et qui cache son manque d'élégance et d'intelligence derrière une rebellion fun.