En 1936, 1937 et 1938 Fritz Lang enchaîne les productions américaines et Casier judiciaire (aka You and Me) s'inscrit dans une continuité claire, au sein d'une filmographie à dominante allemande par ailleurs, avec Furie et You Only Live Once, deux excellents films qui lui font fatalement beaucoup d'ombre. Mais tout de même, voir Lang s'essayer à la comédie romantique, c'est quelque chose d'assez surprenant en soit pour légitimer le visionnage de cette œuvre dont on ne conservera probablement pas un souvenir mémorable. Ici le thème structurant est tout à fait connu chez Lang : l’impossible intégration du criminel au sein de la société.
Le récit centré sur deux personnages travaillant dans un même magasin joue sur une asymétrie particulière : il s'agit de deux condamnés libérés sur parole recrutés par un patron qui œuvre à la réinsertion, mais seul George Raft (un peu fade) avouera les raisons de son recrutement à Sylvia Sidney (très attachante). La raison pour laquelle elle ne fait pas de même est communiquée au spectateur, de manière indirecte : elle ne veut pas le lui révéler car leur liaison ne pourrait pas pour le moment se concrétiser par un mariage à cause de la période de probation chez eux deux. Mais l'homme, lui, l'ignore. Point de départ d'une série d'imbroglios un peu artificiels qui alimentent des tourments divers chez Raft, s'imaginant le pire : elle doit le tromper avec quelqu'un d'autre ! Bien sûr, il interprétera mal la signification des mots d'une amie à elle, il confondra des papiers judiciaires avec des lettres d'amour, c'est-à-dire autant de points d'entrée pour une jalousie maladive et une déception injustifiée.
Le code Hays se fait ressentir non pas dans la dimension sexualisée de leur rapport (elle tombe enceinte tout de même, malgré la situation peu conforme selon le code vu qu'ils ne sont pas mariés) mais dans la leçon donnée par Sidney à la fin, une leçon à prendre au sens le plus littéral qui soit. Tandis que Raft et sa bande se sont décidés à cambrioler le magasin dans lequel ils travaillaient, elle anticipe le forfait (grâce à une coup de téléphone d'un acolyte peu malin) et vient sur place les en empêcher avec le patron himself. Ni une ni deux, une craie et un tableau noir, et voilà qu'elle leur démontre par a+b que non, le crime ne paie pas. En prenant en compte toutes les dépenses, le faible montant du butin et tout le toutim, il ne restera à chacun des voleurs que 100 dollars. Conclusion : il vaut mieux se satisfaire d'une bonne petite vie d'employé. Au passage, petit tacle : "The big shots aren't little crooks like you. They're politicians." Ce final très moral avec happy end vertueux gâche une bonne part du plaisir de voir cette femme tenir tête aux malfrats.
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