Des flammes qui se mêlent aux néons écarlates : Martin donne le ton. Car avec Casino, il sera question d'ombre et de lumière. D'opulence et de chatoiement voisinant l'illusion et le vertige.
Casino serait presque décevant dans la mesure où son mécanisme, sa voix off, sa chute irrémédiable rappellent ce qu'il a pu décrire dans Les Affranchis, et tout ce qu'il reprendra quasiment vingt ans plus tard pour s'emparer du Loup de Wall Street.
Attention, j'ai écrit "presque".
Parce que Martin éclabousse toujours l'écran de cinéma de son style inimitable. Parce que Martin est aussi virtuose dans sa mise en scène, généreux dans son luxe et gonflé dans la démesure de sa fresque. Tandis qu'à l'image du chemin tortueux des pièces comptés et des biftons empilés, il dessine en guise de prémices un labyrinthe vertigineux de lieux, de figures, de mouvements, d'influences. Pour que l'immersion dans son décor soit totale. Pour que Las Vegas et ses tentations tournent la tête de ses personnages.Comme les insectes irrémédiablement hypnotisés par la lumière artificielle avant de s'y brûler.
Sauf que Casino ne serait pas aussi inouï sans ses figures de proue :
Sans Robert De Niro, il n'y aurait pas cette fascination pour le faste et le spectacle, l'ordre dans l'ombre de son casino. Cet amour transi que se délite peu à peu, puis cette empathie dans la chute de son empire.
Sans Sharon Stone, il n'y aurait pas la fascination éprouvée pour une sublime belle de nuit, de laquelle on ne peut plus détacher le regard. Il n'y aurait pas cet incroyable pouvoir de séduction. Ni la pitié qu'inspire sa déchéance, ses fréquentations infidèles, ses addictions et sa touchante fragilité.
Sans Joe Pesci, il n'y aurait pas la formidable gouaille criminelle en forme de débit mitraillette fleuri, les débordements cinglés, la volubile esbroufe, ou encore l'ubris de tragédie grecque et d'un univers corrompu qui se grippe pour ensuite tomber en lambeaux.
Ses trois là s'entrechoquent, s'affrontent, s'aiment et se détestent, du glam jusqu'au sordide, des lumières des débuts de l'aventure aux ombres des apparences de couples qui se meurent. Jusqu'à un final survolté, d'une folie de grand nettoyage frénétique en forme d'explosion d'une violence incontrôlée.
Scorsese se déchaîne, étreint, aime. Violemment, passionnément, son Casino. On aurait presque l'impression qu'il n'a pas envie de quitter son univers. Les dernières images de son oeuvre ne pourront dès lors que surprendre en dépeignant des images d'effondrement, de fin d'un monde du rêve fastueux au profit d'un parc d'attractions dérisoire, d'une chimère de carton pâte irrespectueuse et hypocrite.
Comme si Marty prophétisait déjà, en 1995, les mutations du système hollywoodien.
Behind_the_Mask, ♫ When passion rules the game ♪.