La spiral jetty est une sculpture de land art construite en 1970 par Robert Smithson. Elle se trouve dans l’Utah sur Salt Lake City. Sa particularité première est d’avoir été érigée lorsque les eaux du lac étaient particulièrement basses avant de disparaître submergée durant plusieurs décennies et de réapparaître régulièrement en fonction des variations du niveau du lac. C’est une digue faite de pierres, un chemin imposant effectuant une avancée droite en mer (environ cinq cent mètres) avant de se replier en spirale. Un escargot de pierre en somme. Une spirale modifiant un paysage comme n’importe quel monument ornant un espace vierge ou disons pur, aux proportions si bien définies que le regard converge inévitablement vers la singularité que cette sculpture occupe dans le cadre. Casting a glance signifie Jeter un œil en anglais et c’est toute la démarche de Benning qui est résumée dans ces mots, d’observateur des infimes parcelles et mouvements singuliers de ce monde. Il effectue ici divers angles de vues, à diverses saisons, durant près de quarante ans, dévoilant les possibilités d’ouvertures du regard que la spirale peut offrir, présente ou non, sans jamais se laisser tenter par la vue aérienne classique. Voir la spirale au sein d’un paysage, dictant le regard, proposant des lignes, supprimant violemment l’horizon invisible, recueillant des couches de neige en hiver, de nombreux reflets en été, les corps lointains de touristes s’y abandonnant. Ou ne pas voir la spirale et accepter la pureté de ce même paysage, en saisissant ici une légère ondulation, là l’aboiement d’un chien hors champ ou un oiseau mort sur la glace. Contrairement aux autres films du cinéaste (que j’ai vu) qui s’attachent à saisir la fragmentation d’un lieu sur une durée donnée présente, sans histoire explicite autre que celle que l’on peut lui donner, Casting a glance s’inscrit cette fois dans une démarche temporelle, multiple, précise et répétitive. C’est un lieu unique qui traverse le temps et raconte sa propre histoire, non plus la somme de lieux. On retrouve néanmoins la fascination du cinéaste pour ce principe d’apparition/disparition qui nourri chacun de ses films, à la différence qu’il choisit ici la transformation lente, celle que seul le cumul des années peut entrevoir. James Benning est donc venu filmer à plusieurs reprises la Spiral jetty de Smithson, une quinzaine de fois d’après les dates qu’ils nous laissent et en a rapporté ce qu’il a vu, le coup d’œil qu’il y a jeté. Portrait saisissant d’un lieu mystérieux, qui résiste au temps car meurt puis ressuscite, prend place ou s’absente, donne à un paysage la convergence des regards venus l’observer et permet de se souvenir d’un lieu à un moment donné de son existence tout en ignorant les autres moments que l’on n’a pu saisir. C’est le portrait de l’incertain, de l’impondérable, d’un lieu saisit dans l’infime représentation de lui-même à travers le temps, comme si l’on racontait l’histoire d’un être en ne proposant que quelques minutes de sa vie.