Je dois avouer que Casting JonBenet est un documentaire original et intéressant sur la forme qu'il adopte pour raconter la terrible affaire du meurtre non élucidé de cette jeune reine de beauté américaine à la fin de l'année 1996. Beaucoup de zones d'ombre et de mystère entourent la mort de JonBenet Ramsey, six ans, dont les parents ont déclaré la disparition au matin du 26 décembre avant que son corps ne soit retrouvé un peu plus tard dans la cave familiale.
Oui mais voilà, derrière le fait divers, le documentaire met surtout en scène la passion humaine pour les faits divers. Pour ce faire, la réalisatrice a donné la parole à une multitude d'habitants de la ville de Boulder où le crime a eu lieu, des enfants comme des adultes, et chacun y va de sa petite théorie sur qui a tué JonBenet Ramsey. Et c'est déjà là que ça coince pour moi.
Certes, Kitty Green n'a pas cherché à découvrir la vérité sur cette affaire, et ne s'en est jamais caché. Mais les habitants de Boulder, eux, ont leur petite idée : entre machin qui suggère que Patsy Ramsey doit être coupable parce que "les enfants viennent des ovaires" et que c'est un cancer de l'ovaire qui l'a emportée (WTF), et truc-bidule qui a imaginé la scène de A à Z avec Patsy Ramsey tuant sa fille à coups de club de golf sans le faire exprès parce qu'en fait elle visait son mari qu'elle aurait soit-disant surpris "en plein acte sexuel avec sa fille, mais un acte sexuel tordu" (parce qu'a priori violer sa fille n'est pas suffisamment tordu), chacun y va de sa propre théorie et elle implique le plus souvent les parents ou le frère de l'enfant dont la culpabilité n'a jamais été prouvée. Il n'y a pas de mal à avoir des théories, mais je trouve très discutable de les crier au monde entier en sachant que les personnes accusées - innocentes jusqu'à preuve du contraire - en auront vent. En l'occurrence, cette affaire date d'il y a 22 ans et certains proches de la victime sont encore en vie, subissent encore la suspicion des médias comme en témoignent les nombreux articles qui ont suivi l'interview du frère de la fillette chez Dr Phil il y a quelques temps déjà.
Mais peut-être le film est-il une réussite dans ce sens là. Car avant de l'avoir vu, j'avais envisagé la théorie des médias comme tout à fait plausible sans songer aux conséquences que cela devait avoir sur la famille. Après visionnage, même si je ne suis pas plus avancée et que ses membres restent des suspects potentiels, je suis choquée par la légèreté de certains propos : on n'en est plus au stade des théories où les gens se disent "peut-être que c'est ça, ou peut-être que c'est ceci", la plupart des personnes interviewées donnent leur version des faits, ils y croient dur comme fer, comme si ils connaissaient tous les retournements de l'affaire. A les entendre, Boulder est l'enfer sur Terre avec ses réseaux pédophiles jamais identifiés, la corruption des forces de police (entre autres) pour expliquer justement l'absence de preuves sur ces réseaux... Et la famille Ramsey serait la pire famille du monde entre le père qui "prêterait" sa fille à ses amis pédophiles en échange d'une autre fillette, la mère narcissique qui forcerait sa fille à faire des concours de beauté mais la frapperait car jalouse de son succès, et le frère de neuf ans qui l'aurait massacrée à coups de lampe de poche... Sans nier l'éventualité que ces théories puissent s'avérer vraies, je vois mal l'utilité de les exposer au monde en sachant pertinemment qu'elles pourraient faire du mal à beaucoup d'innocents.
Au final, c'est un film qui veut exposer le voyeurisme. Mais n'est-il pas un peu voyeur lui-même ? Ne fait-il pas un peu pousse-au-crime en poussant les divers intervenants à rejouer les événements entourant la mort de JonBenet Ramsey ? Ces personnes se seraient-elles mises en scène de manière aussi malsaine (les médias qualifient certaines reconstitutions de "limites") si on ne leur avait pas demandé ? Et sont-ils à blâmer, eux, alors que les scènes rejouées sont choisies et écrites par l'auteur du documentaire ? Qui est le plus voyeur dans cette histoire ?
Au final, je ne saurais vous dire si c'est un chef d'oeuvre de psychologie ou juste un remuage de couteau dans la plaie en bonne et due forme. Ce qui est sûr, c'est qu'il joue dangereusement avec la frontière de l'indécence (et je n'utilise pas ce terme à la légère, il est d'ordinaire quasi absent de mon vocabulaire).