Edward Yang à ses débuts, son cinéma et ses questionnements en gestation. Ce n'est pas tout à fait mature, pas tout à fait personnel, mais un certain style s'impose déjà.
"That day, on the beach" est un film dense, qui se construit lentement, et qui prend le temps de tisser les méandres de ses récits imbriqués avec soin. Il y a un parfum de Nouvelle Vague assez diffus, et il ne serait pas étonnant d'apprendre que Yang se soit légèrement inspiré de L'Avventura pour l'une des ramifications de l'histoire.
On navigue assez facilement de flashback en flashback, le regard du réalisateur évoluant à travers les époques et les personnages de manière naturelle. On reconnaît assez vite les thématiques chères au réalisateur taïwanais, à savoir la famille (à peine esquissée ici) et ses contraintes, le poids de l'enfance (idem), et surtout la grande Histoire de son pays à travers la multitude de petites histoires bouillonnantes de ses personnages. Car si la caméra gravite ici autour d'une poignée d'hommes et de femmes, c'est bien le personnage de Jia-Li qui cristallise le regard d'Edward Yang sur la société taïwanaise des années 70 / 80 et la dure émancipation sous la dictature du Kuomintang. Cette critique n'est absolument pas frontale, on peut même passer à côté si l'on n'est pas familier avec le contexte politique du pays : elle se lit en filigrane, mais l'air de rien, Yang posait les jalons d'un certain cinéma dans son pays. Le discours que Jia-Li prononce à la fin du film, sur son lit d'hôpital alors qu'elle s'est évanouie, résonne étrangement et semble tout droit sorti de la bouche du réalisateur.
La beauté, la sincérité, l'émotion et la simplicité de "Yi Yi" paraissent encore bien loin, mais le chemin est déjà soigneusement tracé.
[Avis brut #15]