Voilà un film auquel s’attaquent les partisans de la Manif pour tous… Il ne faudrait pas le montrer aux ados. Une affirmation inacceptable car le film n’a absolument rien de scandaleux, décrivant les questions que se posent nos jeunes au sujet de la sexualité et en particulier de l’homosexualité ; il nous montre la difficulté qu’ils ont à en parler, les tabous qui persistent encore. Avec justesse et sensibilité, le film nous montre ce que l’on tait, le film décrit le réel, de façon respectueuse sans être un film anti ou pro homosexualité.

Retour sur cette tentative de censure ici :
http://www.europe1.fr/societe/un-film-pedagogique-sur-l-homosexualite-cible-de-la-manif-pour-tous-2282075

Au-delà de cette polémique gravissime, parlons davantage de ce court métrage, assez réussi. Deux garçons et deux filles, séparément, dans les toilettes de leur collège, reviennent sur le film passé à la télé la veille, le Secret de Brokeback Moutain, qualifié par un garçon de western pédé. Ce qui dérange ici les traditionnalistes, c’est l’émoi provoqué par ce film chez le garçon qui l’a vu. Un ado qui se présent plutôt comme un dur, et dont la sexualité, nécessairement, est de nature hétérosexuelle. Il ne peut en aller autrement. Et pourtant, le jeune en question a été troublé par le film, qui le dérange. Au-delà des scènes de sexes, crues dans le film d’Ang Lee, le jeune en question se rend compte qu’il est question d’amour, et ça le trouble, comme si sa vision négative de l’homosexualité lui avait jusque là empêché de voir l’existence de ces sentiments. Cet amour lui rend possible l’idée de l’homosexualité, et même s’il ne peut le dire ainsi, il la rend acceptable. Pas pour lui, faut pas exagérer, mais peut-être pour les autres. Le jeune est perturbé car il a ressenti de la compassion pour ces homos qui sont obligés de se cacher pour vivre leur amour, et de la tristesse lors du dénouement ; il est gêné car il a éprouvé de l’affection pour les personnages – des homos !-, probablement parce qu’il s’est sans doute un peu identifié à eux, lui, le mâle hétéro ! Et il a pleuré ! A se demander s’il est lui-même normal, pour reprendre ses mots. Il se rassure en en discutant avec le premier de la classe et en s’assurant que celui-ci ne va pas le balancer ; il se rassure au final en affirmant qu’il est normal, mais il y a un doute : à la fois l’homosexualité est anormale, c’est un fait qui ne se discute pas véritablement, et en même temps, il pressent la possibilité de son homosexualité, impossible à présenter au regard des autres, et le film le montre, cette autre sexualité suscite facilement le rire et l’incompréhension, sans parler d’autres attitudes et propos que l’on connaît et que le réalisateur n’a pas eu besoin de montrer. Le jeune en question est à un âge où l’on peut se poser des questions sur sa sexualité, où rien n’est forcément tranché mais où on ne peut pas parler, car la norme en vigueur empêche l’expression de l’homosexualité, ou même de son éventualité. C’est ça qui gêne la Manif pour tous, le fait de remettre en question l’idée d’une identité sexuelle figée par la nature, dès la naissance. D’autant plus que dans le film, chez les filles, la discussion dérive sur l’homosexualité du père de Nadia, désormais assumée. Un thème qui est un tabou chez les traditionnalistes qui considèrent toutes les sexualités autres que l’hétérosexualité comme des perversions ou des anormalités. Reconnaître que l’identité sexuelle est mouvante serait détruire leurs convictions, ce serait reconnaître qu’ils pourraient aussi être de l’autre côté de la barrière, du côté du mal en quelque sorte, puisque ces gens ont une conception du monde et de la vie héritée de croyances religieuses qui les amènent ici, de façon pour le moins exagérée, à voir le monde de façon binaire, sans nuance, sans possibilité d’évolution, sans respect de l’altérité.

Bref, ce film, parce qu’il pose des questions pertinentes, risque de chambouler leur vision figée. Alors oui, il est dangereux, pour eux, car il fait réfléchir, et pourrait les amener, s’ils utilisaient leur libre arbitre, à faire évoluer leurs positions. Il est dangereux car il est vrai, car il est pertinent, car il est mesuré, nuancé, car il interroge, sans forcément donner de réponse.

Ce film n’est toutefois pas exempt de quelques défauts, de mon point de vue, qui restent toutefois relativement anecdotiques face à la richesse des questions posées : d’abord, aujourd’hui, les jeunes regardent beaucoup moins le film du soir qu’il y à vingt ou tente ans, et il est peu crédible qu’ils aient pour la plupart vu le Secret de Brokeback Mountain la veille au soir, alors qu’on devait avoir en face un bon blockbuster américain et qu’en plus, le film d’Ang Lee n’étant pas tout public, il n’est pas forcément montré à 20h30. Il y a aussi les dialogues, qui cherchent à donner une touche de réalisme, qui sonnent souvent juste, mais qui tombent parfois à côté, même si le comédien principal, Finnegan Oldfied, est très bon. Un côté un peu trop artificiel, avec cette vérité qui sort trop facilement de la bouche de Nadia. Mais là n’est pas l’essentiel, le film est une fiction, mais celle-ci met en avant une réalité, troublante pour certains, mais une réalité quand même, le fait que les jeunes se posent des questions quant à leur sexualité.

Bref, c’est un film à voir et surtout, un film à partager avec nos jeunes, un film qui doit pouvoir permettre de facilement lancer le débat pour les amener à parler et réfléchir de leur sexualité avec du respect pour la différence ainsi qu’à surmonter les tabous qui persistent encore malgré les efforts de laïcisation entrepris depuis déjà pas mal de temps.
socrate
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le 6 déc. 2014

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socrate

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