Klapisch kaput
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le 7 juin 2017
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Ce film de Klaplish m’a séduite sans que je m’y attende. D’abord il se déroule en Bourgogne, ma région natale. Quel plaisir d’entendre les noms des lieux non loin desquels j’ai vécu : Beaune, Meursault… Et puis il n’est pas possible de le nier, la Bourgogne est belle avec ses vignobles, ses couleurs verdoyantes du printemps et de l’été, ses couleurs mordorées de l’automne, le dépouillement de l’hiver. On y trouve aussi une lumière qu’on ne trouve nulle part ailleurs. C’est un lieu idéal pour tourner un film.
Ensuite, j’ai été séduite par ces relations fraternelles et humaines authentiques et complexes. Cette fratrie ce sont deux frères : Jean, Jérémie et leur sœur : Juliette. Jean, l’aîné, est parti il y a dix ans, en souffrance sans que personne ne comprenne vraiment pourquoi. Il étouffait dans sa Bourgogne natale, il voulait voir le monde, prendre le large. Depuis presque 5 ans il ne donnait plus aucune nouvelle. Apprenant que son père est près de mourir, il débarque sans prévenir. Juliette, surprise, l’accueille dans une explosion de joie, Jérémie tout aussi surpris éclate en reproches pour son silence radio de 5 ans. On peut comprendre…
Ce qui nous lie nous raconte leurs relation qui se retissent semaines après semaines. Ils ont vécu éloignés durant des années. Ça va se faire à travers la question de la succession à régler qui les prend au dépourvu. Les implications sont complexes, les questions nombreuses. Cela touche concrètement le rapport à la terre, au domaine familial et les questions ont des résonances différentes pour chacun d’eux. Entre Juliette passionnée par le métier viticole, attachée à sa vigne ; Jérémie qui n’a pas quitté le domaine et Jean qui vit ailleurs depuis de nombreuses années et qui a maintenant des vignes en Australie : « moi j’en ai plus rien à foutre de ces terres ». Il découvrira que c’est un peu plus complexe que cela.
Ces trois frères et sœurs sont touchants par leurs forces et leurs fragilités, leur tâtonnements, leurs questionnements.
Jean est silencieux sur sa vie, aussi bien sur son présent que sur son passé. Peu à peu il finit par lâcher des infos. Il renoue avec le petit garçon qu’il a été, il renoue avec son père au delà de la mort pour accueillir une autre facette de lui qu’il n’avait jamais perçue. Peu à peu, il peut s’apaiser, guérir et prendre des décisions pour sa vie.
Juliette a repris l’exploitation des vignobles de la famille. C’est une jeune femme frêle mais qui a la tête sur les épaules et qui est douée pour le vin. Elle manque d’assurance surtout après la mort du père alors qu’elle se trouve seule responsable. Au fil des mois, on la voit s’affirmer, jusqu’à cette scène sur la fin du film où entourée de ses deux frères et d’un ami qui lui donnent des conseils elle leur répond :
ça va, c’est mon vin, je sais ce que je veux faire avec mon vin ! Y a un moment donné, ça va ! J’ai pas besoin d’avoir 12 mecs autour de moi pour me dire ce que je dois faire ! Vous êtes là à me regarder avec vos grosses couilles ! C’est bon, j’ai mes idées, j’ai mon goût !
Ils la regardent éberlués, se rassoient mais sont plutôt contents de la voir enfin prendre de la carrure.
Jérémie : le cadet également peu sûr de lui, surtout devant son beau-père qui l’écrase de sa suffisance, de son paternalisme qui contrôle et régente tout. Jusqu’à cette scène très comique où lui aussi s’affirme mais de manière hyper gauche, en bégayant face au beau père tout puissant, à la carrure physique imposante :
ça va pas Anselme, vous voyez très bien votre manière d’être tout le temps avec moi… si, si, vous savez (…) vous voulez vraiment que je vous dise ce que je pense ? C’est comme le SPA, si on n’a pas envie… si j’ai pas envie de… de… de… que… que… Eh ben Jean c’est pareil, s’il a pas envie, je…, il fait comme y veut, on n’est pas là pour… Parce que vous c’est toujours pareil, on… on… il faut que vous arrêtiez de croire ça ! Il faut que vous arrêtiez de croire que tout ce que vous pensez, Monsieur ! Que tout ce que vous pensez, que tout ce que vous voulez nous… que tout le monde d’un coup va vous… ça peut pas marcher comme ça ! C’est comme le tarrazu, putain, j’aime pas le tarrazu ! Voilà, c’est comme ça, on n’a pas les mêmes goûts dans la vie ! Et ça fait un bon moment que je voulais vous le dire !
Avec une tirade pareille, le beau-père, il a intérêt d’être sacrément fin psychologue pour comprendre à travers les mots, les phrases inachevées, informulées toute la frustration de son beau fils et son besoin d’exister et d’être simplement lui-même librement.
Sur une année nous voyons Jean, Juliette et Jérémie évoluer jusqu’au moment où le temps est mûr pour chacun d’eux, comme une grappe de raisin est à point pour la vendange. Ils peuvent poursuivre le cours de leur vie, le vin a été tiré, il n’y a plus qu’à le laisser vieillir pour qu’il devienne succulent. Nulle doute que cette année passée ensemble aura donné une bonne cuvée !
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Créée
le 21 juil. 2022
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