ATTENTION : Film Perpétuel ! Au sortir de Céline et de Julie réside encore un bout d'absinthe dans la gouche, un sentiment de fourmilles dans la tête et d'images dans les talons de notre estomac cinéphage... Au 7bis de la Rue du Nadir aux Pommes les deux moiselles y vont de leurs jeux et de leurs traits persillés, élémentairement et, disons, magiquement. Dans la galère de Céline et de Julie il y a un peu de tout : beaucoup de mots jetés en patchwork à la face de leurs camarades et de la nôtre à renfort d'improvisations savamment animées, du cabaret mi-calvaire, mi-martyrs revisitant Liza Minnelli à laquelle Juliet Berto ressemble comme deux gouttes d'eau, du Paris éminemment fantasmé et comme en vase clos recomposé comme un jardin secrètement multicolore, du Monsieur Dédé campé par un Jean Douchet plus "vieille France" que jamais, du sang rouge, du sang bleu, du théâtre, pas mal d’ésotérisme, un soupçon de numérologie, énormément de cinéma, enfin.


Chef d'oeuvre d'onanisme ludique effectué sur le mode du glissement ( une scène en amène une autre qui mène en bateau puis de place en place, etc...) celui de Jacques Rivette est une délectation de plus de trois heures au coeur de laquelle on se promène dans un maelström de plans tous plus ravissants les uns que les autres. Monument langagier reprenant l'apanage littéraire de James Joyce et préfigurant le cinéma de Andrzej Zulawski ( principalement L'Amour Braque et le méconnu Mes Nuits sont plus belles que vos Jours...) et - dans une moindre mesure - celui du bohème Leos Carax ( les très récréatifs Boy Meets Girl et Mauvais Sang viennent en tête au regard des amusements des deux femmes...) Céline et Julie vont en Bateau digresse admirablement vers des abîmes de vertige et de re-présentation réverbérante : de cette bibliothécaire moins sage qu'elle ne le semble de prime abord ( Dominique Labourier, extra...) et cette mythomane moins frivole que d'apparence ( Juliet Berto, gaiement superbe...) Rivette extirpe une tisane d'une modernité dramatique complètement folle. Interchangeables ces deux "Pince-Mi et Pince-Moi" se tiennent par la barbichette d'une temporalité gentiment pulvérisée par le réalisateur électron libre de la Nouvelle Vague, jouant à franchir les frontières séparant le rêve de l'éveil, la fiction de la réalité... Et c'est vertigineux !


Foisonnant d'audaces et de ruptures en tout point exquises et fascinantes ce film shooté en format standard fait l'effet d'un petit théâtre de marionnettes au potentiel visuel intense et prégnant, du haut niveau de l'ère du Cinéma muet. Néanmoins parlant beaucoup et serti de couleurs magnifiques ledit long métrage décline ses nombreuses saynètes en enchaînant les morceaux de bravoure ( dix premières minutes intégralement mutiques, montage recomposant deux à trois niveaux de réalité, projections mentales et/ou essentiellement divertissantes ) pour mieux nous obséder de fil en aiguille. Et s'il fait l'effet d'un petit film visiblement conçu "sur le pouce" ( petit budget, prédominance des décors naturels extérieurs et des intérieurs visuellement fauchés, large place accordée à l'improvisation, etc...) Céline et Julie vont en Bateau délivre en fin de compte une puissante force évocatrice mâtinée de psychédélisme et d'occultisme sciemment digérés par l'auteur de Paris Nous Appartient. A voir et à revoir impérativement.

stebbins
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le 26 janv. 2022

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