Après son documentaire sur le cinéma iranien (Filmfarsi - 2019), le cinéaste et historien Ehsan Khoshbakht poursuit son travail de mémoire en approfondissant le sujet déjà abordé dans son précédent film. Cette fois-ci, il nous replonge dans son enfance cinéphilique, ses années d’étude où il organisa des ciné-clubs (bien souvent de façon officieuse, par crainte de finir en prison) et nous emmène à la rencontre d’un passionné, voir même d’un “gardien du temple”, un cinéphile (ancien projectionniste) qui aura conservé et sauvé en cachette plus de 5 000 films promis à la destruction par le pouvoir en place et ce, au péril de sa vie.
Petit rappel des faits, avant la fin des années 70, l’Iran jouissait d’une grande liberté d’expression et le cinéma populaire avait pignon sur rue. À la fin des années 70 avec la Révolution islamique de 1979 qui se solda par la chute du shah, les islamistes ont pris le pouvoir et imposé une censure drastique. Ils ont purement et simplement interdit les salles de cinéma de poursuivre leur exploitation (bon nombre d’entre elles ont été incendiées) et surtout, la plupart des copies de films (tous supports confondus) ont été détruites. Les copies 35mm des exploitants, ainsi que les copies privées (des particuliers) furent brûlées, de même que les antennes paraboliques (qui permettaient à tout un chacun de pouvoir capter des chaînes du monde entier) ont été confisquées. A cette époque, les iraniens n’avaient d’autre choix que de regarder qu’un seul film (censuré bien évidemment) par semaine à la télévision, le reste du temps était consacré aux images de propagandes et à diverses émissions religieuses).
La répression était sévère et bien que Ehsan Khoshbakht n’ait pas connu cette période de transition, sa cinéphilie était telle qu’il ne pouvait se résoudre à rester sans rien faire. Il s’est donc mis en tête d’organiser un ciné-club dans son université (où il diffusait des films enregistrés sur VHS), jusqu’à ce que le régime totalitaire le lui interdise. Les copies 35mm étant inexistantes, c’est à ce moment là qu’il fit la connaissance d’Ahmad Jurghanian, un collectionneur compulsif qui aura amassé dans le plus grand des secrets, des milliers de bobines de films et de très nombreuses affiches, ainsi que des photos d’exploitation (provenant des salles de cinéma).
Le film regorge d’anecdotes, parfois croustillantes, ainsi que bon nombre d’images d’archive, de l’époque des ciné-clubs en passant par la rencontre avec Ahmad Jurghanian et son appartement plein à craquer de bobines 35mm (du sol au plafond, de la salle de bain en passant par la cuisine). On apprend qu’à cette époque, pour permettre à Ehsan Khoshbakht de projeter des films dans son ciné-club, Ahmad Jurghanian lui faisait parvenir des copies 35mm en train, cachées dans des sacs de riz.
Celluloid Underground (2023) est une oeuvre autobiographique extrêmement riche où l’on devine la frustration du réalisateur de ne pouvoir assouvir sa passion à cause du régime totalitaire de l’époque (raison pour laquelle il quittera définitivement le pays pour s’installer au Royaume-Uni). C’est aussi un vibrant hommage à Ahmad Jurghanian, qui se sera dévoué corps et âme pour tenter tant bien que mal de sauver l’Histoire du cinéma iranien.
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