« Rien n’est plus sérieux dans ce pays »

Festival Sens Critique 7/16.

La première séquence de Cendres et Diamant offre le panorama d’une rue dans laquelle se déploient deux défilés : celui des bottes d’une armée victorieuse, et celui d’hommes de main transportant des chaises, étonnamment disciplinés, convergeant vers le lieu d’un banquet.
La dichotomie du film est installée : les combattants debout, les notables assis. La rue, le combat, la course, le banquet, la fête, la beuverie, le retour d’une société sclérosée qui se dispute à nouveau les lambeaux d’un pouvoir décharné.
Film composite, Cendres et diamant propose un nouveau regard sur une période qui n’est pas moins nouvelle : dans un pays ravagé, où l’on voit au cinéma l’annonce de la libération, il substitue à la fresque classique et héroïque un traitement esthétique riche et pluriel pour révéler les contradictions de cette renaissance douloureuse. Comme autant de verres d’alcool flambant sur le zinc d’un bar, on compte et on nomme les morts qui se mêlent aux cendres sur lesquelles on danse.
Maciek, le personnage principal illustre cette dualité, personnage politique affublé de ses lunettes aux verres fumés, écrans opaques sur un regard qui n’honorera qu’une seule femme de sa clarté, dans une nuit d’amour aux antipodes de sa mission. Celle-ci nous mène vers un récit proche du film noir, où les visages en gros plans sont tous suspects, où la traque de l’homme à abattre dure toute la nuit et s’achève sur un plan d’escalier qui semble tout droit sorti d’un film d’Hitchcock ou de Tourneur.
Aux antipodes de sa quête, la salle du banquet propose une alliance d’un décor figé et mortifère, héritage direct de l’avant-guerre, à la furie d’une fête décadente et grandguignolesque. Dolce Vita des ruines, on s’enivre et l’on saccage le mobilier dans une ambiance à la fois mélancolique dévastatrice, préfigurant celles des films de Kusturica. La frontière est cependant très poreuse entre les deux univers, le soldat et l’homme politique mêlant à cette nuit de tous les enjeux la sphère privée, que ce soit par l’amour d’une femme ou l’amour filial.
Cette nuit d’amour occasionne le troisième angle esthétique du film, proche de la Nouvelle Vague : discussions à rallonge, couple contemplatif, ellipses compose ce tableau qui s’achèvera sur une course folle et baroque qui n’est pas sans annoncer celle d’Antoine Doisnel, l’année suivante, à la fin des 400 coups.
Le feu d’artifice final qui semble saluer l’acte meurtrier ne trompera personne sur le constat amer que fait Wajda sur l’histoire en train de s’écrire. Alors que les danseurs se désincarnent au point de devenir de fantomatiques automates, les seuls êtres de chair, diamants de ce récit et loin d’être éternels, sont voués à la mort, ensevelis dans la cendre du morne et désespérant cycle de la bêtise humaine.
Sergent_Pepper
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le 18 déc. 2013

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Sergent_Pepper

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