L’adolescence dans les années 70 en URSS ou plutôt dans un film soviétique des années 70 n’est pas si différente de la nôtre. On est peut être chez les pionniers, forcé à participer à des jeux et activités que l’on prend avec plus ou moins de sérieux, on porte peut-être sous le col de sa chemise blanche un foulard rouge mais en dessous palpite le même cœur qui alors se découvre. Un cœur indubitablement russe qui, brutal, se traduit par un visage fermé autant qu’il est bouleversé et ému, mais un cœur dans lequel on se retrouve autant qu’on l’entrevoit.
Lopuhin a 14 ans dans Cents jours après l’enfance (Сто дней после детства). Il a le visage d’un ange, ses cheveux blonds se confondant avec les blés caucasiens et s’arrachant au vert d’une nature vivifiée par l’été pluvieux. Poseur, comme un héros de Lermontov, le buste gonflé et le regard provocateur, il nous défie d’aimer comme lui il aime, comme on aime à 14 ans « pour la vie, cette vie qui passe l’espace d’un cri ». Devenant lui-même sa propre fiction il pose et compose alors son propre personnage, un moi malhabilement projeté dont pourtant on se sent si proche. Car cette être qui a coup de faux-semblants est si honnête si juste, aime une jeune fille aux cheveux piquetés de fleur, qui rayonne dans sa liliale candeur et ses regards de piéta : et chacun a aimé une fille comme ça.
Chacun a aimé ou aime encore cette fille-là, diaphane fluide qui échappe à Lopuhin autant qu’elle lui est présente. Il ne peut la posséder face à son concurrent plus grand que lui, mais vainc, dans ce poème à la pureté et aux amours adolescentes par son abnégation involontaire dans cet amour sans issue. L’important ici c’est d’aimer. Une fille, la nature folle et belle, un ami : juste aimer.
Tragédie indolente, et languissante autant que peut l’être une adolescence fantasmée et baignée du halo de la Russie des blés et des plaines, la fin ne fait pourtant pas de doute. Chacun va remporter chez soi son amour inaccompli, la haine de ses concurrents. Et le personnage rêveur du sculpteur, derrière lequel on a du mal à ne pas reconnaitre le réalisateur Solviov, rentrera dans sa grande et laide cité soviétique en ayant apporté à ces jeune gens un peu de son amour des choses élevées.
Et nous, où que vous soyez ou que je sois, nous emporterons un petit bout d’une Russie fantasmée, une chanson d’Aznavour et un souvenir de nous-mêmes qui cent jours (ou plus) après notre adolescence, n’est pourtant pas encore mort.
lLe Palpitant