"Centaure" est une véritable pépite cinématographique. Sous l'usuelle intrigue se cache en vérité l'une des plus belles déclarations d'amour à un peuple, un territoire et une culture, celle des hommes de steppes qui quittèrent jadis la Sibérie pour ces contrées moins hostiles.
Qui pourrait croire que ce quinqua affable, dont le mariage arrangé avec Maripa lui a apporté la sérénité et surtout un fils choyé, appréciant le maksym et les belles femmes, rêve d'un ailleurs ou pour le moins d'un monde qui ressemble de plus en plus à un vestige, d'un mode de fonctionnement où tout paressait plus rudimentaire certes, mais au final plus en adéquation avec la vie, la vraie ? Centaur en effet ne retrouve plus ses marques dans un pays où les yourtes ont fait place aux maisons en dur, où le cheval n'est plus considéré à sa juste valeur (être "les ailes de l'homme"), où la religion musulmane radicale commence à peser, où la consommation dévore petit à petit les âmes... Le Kirghizistan comme beaucoup de pays voisins où vivent la même ethnie veut tourner le dos à un passé et entame le processus de la marche effrénée du développement à l'occidental.
Tout comme son héros qu'il incarne, Aktan Arym Kubat le réalisateur le regrette. Non par vision passéiste, mais cette mutation représente pour lui une perte d'identité, une histoire, un vécu. A l'image de la Chine qui dans les premiers temps de la libération économique détruisait tout ce qui tenait au passé et qui aujourd'hui n'a de cesse de le restituer (implantation de musées, restauration de quartiers...), Kubat penche pour une évolution plus harmonieuse.
C'est pour cela que Centaur raconte à son jeune fils Nuberdi (la génération qui sera déterminante),
les épopées des ancêtres, lui inculquant des notions de sagesse, de droiture, d'exemple. Car entre la corruption ambiante, l'avidité, la cruauté d'aujourd'hui... mieux vaut être formé. Kubat y va par petites touches, alternant des scènes intimistes magnifiques (le repas du début, les couchers, les kiss pouce, l'après visite du rebouteux...) à des scènes beaucoup plus significatives (visite chez Kourdour, le tribunal, la scène finale...). Sa caméra est aérienne, libre. Les plans sont lumineux et mettent en valeur les paysages qui bien qu'arides semblent si séduisants. Kubat aime son pays.
Et ce n'est pas sa seule passion... le cheval est au cœur du récit comme il fut jadis au cœur de la communauté. Majestueux et noble il est objet de convoitise. Il a pour Kubat le sens de la liberté, pas seulement comme moyen de transport mais aussi pour se rapprocher des dieux. Les folles chevauchées de Centaur en témoignent comme son surnom, l'animal et l'homme ne plus faisant qu'un. Cette même fusion "bestiale" que l'on retrouvait d'ailleurs dans ce premier film de Micha Wald, "Voleurs de chevaux" , hélas passé inaperçu.
Le cinéma est également présent dans tout le film. De manière franche déjà avec la lanterne magique de Nuberdi évoquant celle de Jacques Gamblin dans "Serko", à l'extrait de "La Pomme rouge" jusqu'aux affiches qui ornent le foyer. Mais surtout visuellement, le souffle de poésie, les instants de lutte et de dignité qui fulminent ne sont pas sans évoquer certains plans de Paradjanov.
On le comprendra aisément, Aktan Arym Kubat a réussi son pari. Il signe une oeuvre attachante et limpide, diffusant un message que les citoyens du monde relaient déjà (Sylvain Tesson avec "Carnets de Steppes" notamment) et dont le plan final irradie notre cœur d'espoir !