Avec Certains l’aiment chaud réalisé en 1959, Billy Wilder poursuit une thématique entamée dans ses films noirs que furent notamment Assurance pour la mort (1944) et Boulevard du crépuscule (1950) : l’exploration de l’âme humaine, de ses égarements et de ses faiblesses. Réunissant un casting de premier ordre, le réalisateur américain joue sur les genres aux deux sens du terme, parodiant les codes cinématographiques et jouant sur l’identité sexuelle des personnages. Une audacieuse et réjouissante comédie.
Les codes du film de gangster
1929, Chicago en pleine période de prohibition. Quatre armoires à glace veillent sur un cercueil à l’arrière d’un corbillard. Leur destination : un magasin de pompes funèbres. La police, qui prend en chasse le convoi mortuaire, ne s’y trompe pas. Quelques coups de freins et mitraillettes plus tard, les masques tombent : du whisky plein le cercueil et un tripot clandestin caché entre les murs de l’honorable boutique. Le décor est planté, celui du film de gangsters avec ses parrains (à pompes funestes), ses truands aux trognes de molosses et ses flics incorruptibles. Mais loin du sérieux d’un véritable film noir comme Scarface (1932), auquel certaines scènes de Some like it hot se réfèrent directement, on sent poindre dès l’introduction un ton ironique qui annonce la comédie à venir.
Duperies à tous les étages : parodie et subversion
Si Certains l’aiment chaud commence comme une caricature de film de gangsters, ce film est aussi pour Billy Wilder l’occasion de parodier la comédie américaine. Ainsi, les personnages principaux, Joe (Tony Curtis) et Jerry (Jack Lemmon), deux modestes musiciens contraints à se travestir pour échapper à la pègre, rappellent le fameux duo burlesque de Laurel et Hardy. L’histoire avec ses quiproquos permanents et rebondissements multiples s’inscrit dans la lignée les grandes comédies de Capra. Non seulement pour les éclats de rire qu’elle provoque mais également pour cette lecture à double niveau qui caractérisait les films du réalisateur de La vie est belle. Mais avec le scénario qu’ils cosignent, Billy Wilder et I.A. Diamond vont plus loin encore, faisant preuve de transgression ou pour le moins d’audace morale. Outre la trame principale qui met en scène deux travestis, un milliardaire érotomane et une blonde alcoolo, le film fait la part belle aux petites lâchetés individuelles. Il s’agit pour les tous les personnages de désobéir (à la sévère meneuse de troupe Mlle Sue), de s’amuser, de boire et de séduire. Et peu importe s’il faut en passer par les mensonges et les retournements de vestes (et de robes) en tous genres. Une véritable comédie de la subversion.
Nobody’s perfect
Le film est en grande partie célèbre pour le trio de stars qu’il réunit : la classe de Tony Curtis, l’exubérance de Jack Lemmon et les chansons de poupoupidou Marylin Monroe contribuent au charme de ce chef d’œuvre. Mais comme souvent dans les films de cette période, ce sont les seconds rôles qui apportent le petit plus. La palme du personnage le plus hilarant revenant à l’extraordinaire Osgood Feeling III (Joseph Evans Brown), un milliardaire qui non content d’avoir divorcé huit fois jette son dévolu sur un de nos deux travestis. Ce qui lui vaudra une des répliques les plus célèbres du cinéma : « Well …nobody’s perfect ». Une formule polysémique qui renvoie aux fragilités des personnages du film, mais également aux acteurs hollywoodiens eux mêmes : l’adorable Marilyn ayant en réalité fait subir au reste de l’équipe ses caprices de star durant tout le tournage, et Sinatra ayant refusé le rôle de Jerry/Daphné au prétexte qu’il ne pouvait se résoudre à jouer un homme déguisé en femme. Bref, nul n’est parfait !
9/10
Critique originale publiée sur le Magduciné