Questionner la comédie, c’est faire face à bien des paradoxes, au premier rang desquels on prendra la mesure de la délicatesse d’un procédé qu’on croit pourtant immédiat et spontané. La réussite d’une comédie provient d’une capacité à se placer sur le fil, à la rencontre de la provocation et de l’intelligence, du raffinement et de l’audace, du grotesque et de la légèreté.
Certains l’aiment chaud fait partie de ces chefs-d’œuvre qui concentrent toutes ces apparentes contradictions. Comédie on ne peut plus conventionnelle dans ses ressorts (coïncidences, arrangements, invraisemblances, rien n’est à questionner en termes de crédibilité), filmant sa star avec une réelle lucidité sur le produit d’appel qu’elle constitue (des apparitions à l’écran que ne renieraient pas Tex Avery, un décolleté pigeonnant, des intermèdes musicaux iconiques), c’est une machine à succès qui connait les ficelles et exploite tout le savoir faire de l’usine à rêves.
Wilder connait les coulisses, et sait pertinemment mettre en valeur l’emballage de sa machine. Sa première ambition se situe sur le domaine de l’écriture : faire durer 120 minutes une comédie n’est pas fréquent, mais sa gestion du rythme est imparable, de la structure d’une réplique, ciselée à la perfection, jusqu’à l’architecture générale d’un récit dans lequel les échos relancent en permanence l’intérêt et le plaisir du spectateur : ainsi de ces panoramiques filés entre un yacht sulfureux et un tango non moins chaud, de ces trajets permanents d’un quai de garde à une jetée, d’une chambre d’hôtel aux salons de réception, d’un retour des opposants venus déstabiliser une situation qui était déjà précaire. Dans Certains l’aiment chaud, le mensonge est partout : dès la séquence d’ouverture, où la prohibition se cache derrière la façade respectable des pompes funèbres, dans l’imposture des protagonistes, mais aussi dans les ambitions amoureuses des autres personnages, un jeu de poker menteur où la croqueuse de diamants vient parader devant les milliardaires avides de chair fraîche sous le soleil de Floride.
L’intelligence de Wilder consiste à jouer continuellement avec cette ce double fonds, en lui ajoutant un mordant sur le fil qui ne perd jamais le nord. Ainsi de cette entourloupe initiale, qui fait que le comique ne provient pas tant du déguisement que de la maladresse avec laquelle des hommes tentent de jouer les femmes – ce qui explique d’ailleurs la saveur particulière de l’interprétation de Lemmon, qui est d’autant moins à l’aise au départ qu’il va progressivement révéler une identité qui ne demandait visiblement qu’à s’épanouir. Il en va de même pour la façon dont le cinéaste filme Marilyn, autant starifiée que touchante dans ses moments de confidence où c’est clairement la femme qui s’exprime, éreintée par sa beauté et les désagréments qu’elle lui cause.
On ne remerciera jamais assez le Code Hays pour la façon dont il a galvanisé la finesse des grands réalisateurs et scénaristes : c’est aussi dans ce jeu constant avec la censure que Certains l’aiment chaud se démarque, jusqu’à son titre qui évoque autant la musique que le sexe. En déplaçant son intrigue dans les années 20, par le choix du noir et blanc et en faisant du travestissement une nécessité de survie plutôt qu’un choix de vie, Wilder déplace les enjeux et permet une liberté de ton qui passera auprès du public. Cette inversion des topos – une recette fondatrice du comique, celui de la surprise dans la convention - est constante et structure le récit.
Les hommages parodiques au film de gangster (la pièce de Scarface de Hawks, le Little Bonaparte renvoyant au Little Cesar de LeRoy, le pamplemousse dans la figure à L’ennemi public de Wellman) annoncent d’emblée la couleur, tandis que les jeux de séduction trouveront toute leur saveur lorsqu’ils seront hybrides : dans la troisième identité secrète de Joe, qui imitera la voix de Cary Grant pour camper son personnage, dans la révolutionnaire Daphné et sa façon de mener la danse, ou dans l’initiation au féminisme sur deux hommes pris d’assaut par des rustres. Point d’orgue de ce procédé, qui va jusqu’à faire avancer les bateaux en marche arrière, cette habileté malicieuse à imaginer ce qui pourrait être plus excitant que de séduire Marilyn : l’être, avec insistance, par elle, dans une scène torride où une jambe tendue permettra de signifier la fin de l’impuissance.
Jeu de dupes, allées et venues en forme de feux d’artifice qui sortent des rails (voir, par exemple, l’exacerbation des ellipses, jusqu’à ce déguisement instantané dans l’ascenseur qui défie toutes les lois de la logique) le film se dirige à toute vitesse vers l’impasse infranchissable du masque qui tombe, ce plan final qui ose, sur une pirouette, prolonger le rire et l’étonnement dans un hors-cadre d’une audace folle.
Nobody’s perfect. Mais la comédie, écrin rutilant de ces imperfections, est, elle, absolument irréprochable.
Présentation détaillée et analyse en vidéo lors du Ciné-Club :
https://youtu.be/9oiEmG9jkXc