"On est des scruteurs de plafonds"
C'est LE film de l'année pour moi parce qu'il mêle tous les thèmes qui me sont chers. A savoir, le théâtre, le cinéma et la possibilité de l'art de nous élever au-delà de notre propre condition.
Mi-documentaire (les détenus deviennent acteurs) mi-fiction, ce théâtre filmé qui dépasse les frontières d'un simple dispositif frontal pour s'élever au dessus du toit de la prison et faire entendre, résonner dans toute sa puissance, la mort inévitable, puissante et belle de César. Mais pourquoi alors faut-il l'éventrer ? La question bouleverse soudain l'un des détenus, Brutus qui enfin prend toute sa saveur, son ampleur. On redécouvre Shakespeare, la prison devient créatrice d'art et de beauté, on ne s'intéresse plus aux crimes de ces hommes mais à la grâce qu'ils procurent, tout en masse et en brutalité, l'émotion est toujours prête à les gagner, les scènes d'audition sont d'une beauté indéfinissable.
Leurs yeux enfin se détachent des plafonds pour se coller au texte qui tourne en boucle dans leurs têtes, devient leur raison de vivre, leur perte de temps à eux, enfermés pour si longtemps. On ne veut pas, à aucun moment pardonner leurs crimes, d'ailleurs le texte qui parle de tant de liberté résonne follement à nos oreilles dans cet univers carcéral, chez Shakespeare, les victimes autant que les bourreaux sont sacrifiés et déjà, élevés par l'art, l'homme est remis dans sa condition d'homme, le magnifique noir et blanc redevient couleur et alors, on peut enfin entendre " depuis que j'ai découvert l'art, cette cellule est devenue une prison". Les mots parlent d'eux-mêmes. Un ours d'or magnifique et un film qui dit tout ce que l'art représente pour moi, pour nous,pour le monde, l'essence d'une profonde immensité qui ne peut que nous envahir... Notons que les détenus sont de bouleversants acteurs et que la caméra est sublime dans son noir et blanc, dans ses plans. Bref, c'est merveilleux que ce théâtre texte film tout en un qui revit et qui donne envie de relire Shakespeare en italien !