La guerre. La guerre et ses éclats, ses morsures. Après des scénarios ancrés dans la société contemporaine, Emmanuel Courcol passe ici à la réalisation et choisit de sonder la profondeur des blessures laissées par la Première Guerre Mondiale, en s'attachant au destin de deux frères, Georges (Romain Duris) et Marcel (Grégory Gadebois), revenus seuls du front, alors qu'ils y étaient partis avec leur cadet, Jean.


Riche des récits légués par sa propre famille, le réalisateur dessine ainsi deux trajectoires d'hommes, dans l'âme desquels la guerre se prolonge bien au-delà de l'Armistice : Marcel, qui retrouve la vie civile en se murant dans le mutisme et dans une position d'enfance, au creux de la demeure familiale. Son corps massif, de plus en plus alourdi, semble lui servir d'amortissage supplémentaire, pour le protéger de toute la violence d'un monde dont il a connu la folie. On ne saurait rêver, pour ce rôle, d'autre acteur que Grégory Gadebois, dont le visage sait afficher l'impassibilité de l'eau d'un étang, mais aussi se troubler comme lorsqu'une brise fait tressaillir sa surface, ses deux yeux se plissant alors en une ironie et une tendresse incroyables.


On découvre Georges dans l'exil africain qu'il s'est infligé, exil qui le conduit à mener, sur les terres brûlées de Haute-Volta, une existence à demi sauvage et constamment exposée. L'ordonnance qui lui reste attachée, superbe Wabinlé Nabié, alimente cette perpétuation de la guerre en vantant, sur les places de village, les exploits passés de son maître, "Cap'taine Laffont".


Avec délicatesse, avec une attention aussi discrète que passionnée, l'œil de la caméra accompagnera le rapprochement de ces deux survivants, puis la réintroduction prudente, patiente, de deux êtres féminins dans leurs univers minés : les deux irrésistibles Julie-Marie Parmentier, toute de grâce surannée, et Céline Sallette, plus magnétique que jamais en professeur de la langue des signes. Il ne semblera pas dû au hasard que seule puisse s'approcher véritablement du Capitaine Laffont une femme qui, avant de réapprendre la communication à ceux que la guerre a rendus muets, a elle-même connu au plus près le carnage, en ayant tenu le rôle d'infirmière militaire.


Un orchestre classique, mais sobre et sensible, escorte ce beau récit qui, pour prendre acte d'une gravité et d'une radicalité, ne s'en veut pas moins porteur d'un espoir et d'une foi dans le pouvoir cicatriciel du lien. Au sein de cet orchestre, on retrouve avec émotion le son du violoncelle de Jean-François Assy, musicien de Bashung, qui emplit ses sonorités graves d'une vibration de vie qui n'entend pas se laisser étouffer.

AnneSchneider
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le 25 avr. 2017

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