Avec Cessez-le-feu, Emmanuel Courcol s’intéresse à l’après-guerre et à ses traumatismes dans un premier film sensible et brillamment interprété.
Comment ne pas devenir fou ? Le retour à la vie de ces soldats, ces combattants presque encombrants tant ils sont les revenants d’une guerre à oublier au plus vite, est compliqué. Emmanuel Courcol l’a bien compris dans ce Cessez-le-feu qui commence pourtant dans une tranchée dirigée par un Romain Duris débarrassé (ou presque) des oripeaux de féminité d’Une Nouvelle amie. Cette première séquence est très belle, éprouvante aussi. C’est un long plan séquence entêtant qui s’attache à des gestes. Ainsi, Georges reçoit-il de la cervelle d’un camarade dans son cou et ne cessera plus dès lors durant tout le film de le nettoyer, même propre. Après cette tranchée, nous quittons le combat pour retrouver un autre front, celui des soldats revenus presque entiers. Georges a un frère qui lui est revenu, mais sans entendre et sans parler. Il sourit pourtant, danse. Il tente d’aimer. Il attend surtout le retour de son frère. Dans sa quête de vie, il est entouré de trois femmes : sa mère, celle qui voudrait devenir sa femme et son professeur de langue des signes. Elles sont respectivement interprétées par Maryvonne Schiltz, Julie-Marie Parmentier, Céline Sallette, toutes trois formidables. A ces femmes répondent au moins trois soldats : les trois fils jamais tout à fait revenus de la guerre, voire pas du tout pour au moins l’un d’entre eux.
A la silhouette torse bombé (parfois c’est un peu trop, mais Duris sait s’emparer de cet être fragile et fort à la fois) de Georges répond le long corps fin et apaisant d’Hélène. La voilà qui rit, qui veut apprendre à conduire, qui ne se laisse pas si facilement attraper. Cette femme libérée vient remettre en question la fuite en avant de Georges. Ce dernier a en effet, et c’est un des autres atouts du film, fuit ses responsabilités pendant 5 années passées en Afrique. L’intrigue se passe donc en 1923 quand on veut oublier, mais que c’est encore là sur les visages des revenants. D’ailleurs « revenant » c’est le geste qui veut dire Georges dans le langage des signes que son frère s’invente. Georges est revenu parce que là-bas non plus il ne pouvait pas échapper à la guerre (d’où la presque ironie du titre). Il mélange ses souvenirs de guerre à ses souvenirs d’évasion, de négociation. Nous voilà plongés dans un passé colonial assez peu abordé au cinéma. L’acteur Wabinlé Nabié interprète le guide et ami de Georges, qui rejoue comme un conte chaque soir la guerre devant des assemblées de villageois. Il se croit protégé par une tour Eiffel de pacotille qu’il porte autour du cou.
Avec de très belles images, une attention aux corps, aux gestes et aux êtres, sans chercher à ériger des héros, Emmanuel Courcol réussit un film sensible et attachant. Un film où une femme apprend à conduire une voiture en 1923, faisant écho à sa sœur de cinéma de 2017 qui conduit aux côtés de son père dans le désert israélien dans Tempête de sable. Ici, la tempête est intérieure. A l’impossible nul n’est tenu et survivre à la guerre quand ce n’est pas la mort qui est venue chercher le soldat relève de l’impossible. Pourtant avec pudeur, honnêteté et même une certaine douceur, Emmanuel Courcol rend hommage à ceux qui firent l’impossible. Ils le font encore aujourd’hui et Of men and war nous l’a rappelé très justement l’an dernier. Ici, tout est affaire de contraste : c’est le colosse Grégory Gadebois qui se mure dans le silence, c’est le doux Romain Duris qui joue des durs, c’est la fêle Céline Sallette qui prend sa vie en main, refuse le malheur. Peut-être entraînera-t-elle avec elle d’autres retours à la vie. La guerre a certes effacé les vies, pas la possibilité pour les caractères de se déployer à nouveau et de faire l’impossible.