Un nom qui ne restera longtemps qu’une grossière tâche de peinture quand l’autre a déjà calligraphié le sien de plusieurs écritures. Voilà ce qui fit le drame, presque le tragique, mais aussi toute la beauté de l’amitié qui lia Paul Cézanne et Emile Zola pendant près de 40 ans. L’union des destins de deux enfants qui n’auraient peut-être pas dû grandir mais qui, chacun à leur manière, ponctuèrent la culture française de leur génie. Leur histoire chaotique n’avait rien pour passer à la postérité, elle n’était pas douce, encore moins lisse, accumulait déceptions et sacrifices, mais toute la puissance de sa sincérité l’empêcha d’être oubliée. Le 21 Septembre, Danièle Thompson à levé à la fois le voile et le rideau sur cette relation unique qui reste encore mal connue du public. Dans Cézanne et Moi, la réalisatrice entraîne le spectateur pour 1h54 dans les paysages du Paris pluvieux du XIX° siècle et des montagnes chantantes d’Aix-en-Provence où les deux amis se lièrent…


Paul a tout, Emile n’a rien. Paul est fils de famille, Emile est orphelin. Paul a un franc parlé, Emile est timide. Et Paul est l’ami d’Emile, et Emile est l’ami de Paul. Mais les enfants grandissent et tout s’inverse. Paul déchire ses toiles, Emile publie ses livres. Paul boit, Emile écrit. Paul se bat, Emile ravit. Paul séduit Gabrielle, et Emile, épouse Alexandrine. Plongeant dans des années bohèmes un peu sépias, un peu lilas, la pellicule déploie les noms des artistes anticonformistes dont accoucha le XIX° siècle : Manet, Renoir, Monet, Maupassant, Mallarmé, Daudet… Cézanne et Zola ! Ce biopic historique révèle des Guillaumes Gallienne et Canet comme on ne les avait jamais vus, incarnant avec passion et justesse toutes les contradictions de leur personnage aux multiples facettes parce qu’humains, mais surtout, parce qu’artistes.


« Un artiste c’est un type prêt à dormir toute sa vie dans un taudis pour une minute d’applaudissements ». Voilà à peu près la vision que donne ce film sur l’ambition qui anime à la fois le peintre et l’écrivain, à chaque moment où la vie les réunit. Oui, parce que l’amitié n’est pas un long fleuve tranquille, et la leur, sans doute plus qu’aucune autre, n’est qu’une longue série de fâcheries et de réconciliations. Le jeu des regards en dit long sur l’amour qui les unit malgré ce que la société tente de faire d’eux. Des éclairs de compétition et de jalousie dansent dans leurs yeux respectifs tandis que le même sourire complice et compréhensif se répond dans les creux de barbe. Difficile de rester unis envers et contre tous quand le même milieu intellectuel adule l’un mais rejette l’autre. Cézanne tente de protester contre ce que Zola fait de lui dans son Œuvre, puis dépité, déplore qu’il le fasse en écrivant comme le Bon Dieu. La comparaison est d’autant plus touchante que l’on sait qu’il fut dit de Cézanne à titre posthume qu’il « peignait comme le Bon Dieu »… Le divin ne les réunit simplement pas dans la bonne temporalité. Le film désigne le caractère tempétueux du peintre comme coupable de son échec, lui qui ne fait aucune concession, qui ne consent pas à se trahir pour plaire à des bourgeois qu’il méprise. Il ne coure pas après l’argent, un jour il héritera, mais Zola… Zola c’est différent. Dans un accès de colère lors d’une dispute, il lance à son ami : « On ne crève pas de faim de la même manière quand on sait qu’on sera riche ». Tout au long du récit tourmenté de ce qui fit « CézanneetZola », le spectateur perturbé assiste impuissant à la collision de ces deux comètes dont l’une brillait sans doute un peu trop. Il y a, dans ces deux heures de projection, des idées intemporelles qui font l’essence même de l’homme, l’apprentissage de la patience et de la tolérance, la douceur amère qui peut habiller la colère et les airs fiers, le moteur ou l’écueil que peut constituer l’orgueil… mais toujours, à chacun des plans, dans chacune des scènes, la sincérité authentique d’une amitié qui n’a pas craint de se balancer de la haine dans des « je t’aime ».


« Tu as peut-être du génie, ça reste encore à prouver, mais artiste t’as pas les couilles mon vieux ».

Esmerah
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le 22 janv. 2017

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