Triangle amoureux sur fond de tennis, où la compétition s’exacerbe autant sur le terrain que dans les cœurs, Challengers a fondé toute sa com sur sa star, focalisant les désirs de ses partenaires et celui d’un public visiblement motivé à la voir quitter la bluette Marvel ou la pruderie sacrée de Dune.
On aurait pu espérer de la part de Luca Guadagnino un traitement malicieux et hors des sentiers battus, à la manière dont il a su (un peu) chahuter Chalamet dans Bones and all. Il n’en sera rien.
Challengers n’est pas dénué d’ambitions, narratives ou visuelles, et sait assez rapidement dépasser le cadre étriqué de son intrigue, pour tenter de rebattre les cartes. Par un récit fragmenté dans le temps, qui ajoute progressivement des enjeux au match qui sera le fil rouge encadrant, et sur lequel se grefferont de multiples intrigues ou revirements. Par un triangle à géométrie variable, où l’on place la femme en élément central, dévorée d’ambition et préférant un fan qu’elle méprise à un égal qu’elle désire. On connaît, depuis Call me by your name, la capacité de Guadagnino à filmer les élans contradictoires du cœur et l’attraction des corps.
Challengers parvient, par instant, à brièvement renouer avec cette fièvre, mais semble surtout avoir perdu la main, trop préoccupé par ses effets des manches, ou peut-être pétrifié par l’écrin à la star intouchable qu’il doit mettre en valeur, une Zendaya figée dans sa posture, et à qui on ne donne finalement pas l’occasion de jouer. Josh O’Connor, qui excellait déjà dans le bien moins verni La Chimère il y a quelques mois, sait insuffler par instants le désir censé faire perdre pied aux protagonistes, mais là n’est pas en réalité la préoccupation principale du cinéaste.
En osmose avec son personnage féminin pour lequel la victoire et la réputation construiront l’individu, le film convoque tous les ressorts de l’iconisation. Une écriture de petit malin, où les retours en arrière laissent toujours la possibilité d’un nouveau revirement, et les atermoiements des cœurs légitiment les changements de direction - comme dans un match au score fluctuant, merci, on avait compris. Un prétexte, surtout, à rester en surface pour éviter d’avoir à aborder les sujets les plus intéressants, à peine effleurés, comme celui de la femme au pouvoir, qui plus est noire, lâchant une seule fois, comme malgré elle, une domination sur ses « white boys » ; quant à la question de l’homosexualité latente, elle sera traitée avant tout comme un twist. Une musique fédératrice en diable (le duo Trent Reznor et Attticus Ross certes efficace, mais moins subtil qu’à son habitude), mais qui là aussi, prend le rôle d’un cache misère pour booster la fadeur des images. Des longueurs pénibles, assorties d’un montage assez déconcertant qui désactive à plusieurs reprises le rythme des scènes, et une naïveté elle aussi étonnante pour un réalisateur désormais chevronné lorsqu’il s’agit de donner à voir le désir masculin (toutes ces très lourdes et redondantes séquences des visages béats des ados face à l’objet du désir), alourdies par un recours déraisonnable au ralenti dans un final interminable, qui fait le pari d’avoir acquis à sa cause un public suspendu au score du trio. La mise en scène trahit elle aussi cette ambition qui vire presque à la mégalomanie : Guadagnino se convainc de devoir filmer le tennis comme personne ne l’avait fait jusqu’alors – qui lui en demandait tant ? Et de multiplier les angles et les concepts : travellings à flous cinétiques pour suivre la balle, caméra à la place du joueur, caméra sous un terrain translucide, et, on le redoutait, caméra subjective du point de vue de la balle, pourquoi s’en priver ?
Sans distance, sans ironie, Challengers appelle de ses vœux le « vrai jeu » qui mettrait les joueurs en osmose, mais limite son propos à un ping-pong verbal et un emballage sémillant. La rhétorique, en somme, du clip publicitaire.