Nous sommes en janvier 1925. Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, les deux réalisateurs explorateurs (à moins que ce ne soit l’inverse), présentent pour la première fois leur film Grass: A Nation's Battle for Life. Long-métrage hybride, mêlant le documentaire ethnographique et la fiction exotique, le film est alors un exercice de style assez inédit… et prometteur aux yeux de Jesse L. Lasky, le vice-président de la Paramount, qui presse les deux amis de réaliser dans la foulée un nouveau film du même tonneau : il s’agira, vous l’aurez deviné, de ce Chang: A Drama of the Wilderness.


Forte d'un budget de 75.000 dollars – soit sept fois plus que celui de Grass –, une nouvelle expédition pour l’Asie est montée. Et, après l'Iran, direction la jungle du Siam (l’actuelle Thaïlande) ! Au nord duquel Cooper et Schoedsack vont trouver une tribu en proie à des attaques répétées de tigres. A la bonne heure : les deux bonhommes tiennent leur nouveau sujet ! Eux sont ravis, et le chef de ladite tribu plus encore, à la perspective que les Américains le débarrassent de quelques-uns de ces encombrants prédateurs. Les deux partis passent un accord, suite auquel les indigènes aident les membres de la production à construire le plateau de tournage... mais aussi les pièges à animaux. C'est aussi – et naturellement – une famille de la tribu qui est choisie pour interpréter les rôles principaux.


Au prix de manœuvres parfois très risquées (les réalisateurs frôlent la mort à plusieurs reprises, notamment pour ce plan où, juchés sur un arbre, ils filment un tigre vénèr qui leur bondit dessus) et d’anecdotes pour le moins cocasses (Cooper qui se fait empoisonner par un membre de la tribu après avoir poussé une gueulante sur le chef), le film, qui pousse sensiblement plus loin le curseur vers la fiction exotique – et animale – que son aîné Grass, voit finalement le jour au printemps 1927 et s’imposera comme l’un des plus gros succès au box-office annuel.


Quatre-vingt-quinze ans plus tard, le film ne tient hélas pas la comparaison avec d’autres titres fameux du duo tels que Les Derniers Jours de Pompéi, Docteur Cyclope, King Kong, Monsieur Joe ou encore Les Chasses du comte Zaroff (pour ne citer que ceux que j’ai vus – et j’omets volontairement Le Fils de Kong). Comme Grass avant lui, le film vaut en réalité aujourd’hui plus pour sa valeur documentaire (de cinéma comme ethnographique) que pour le spectacle en lui-même, assez rudimentaire disons-le. Sans être fondamentalement déplaisant, ce Chang est tout de même plombé par un rythme assez aléatoire, des intertitres trop nombreux (et souvent inutiles) qui saccadent la fluidité du film et enfin une musique de Bruce Gaston pas toujours du meilleur effet (à noter que l’originale, depuis remplacée, était signée Hugo Riesenfeld – peut-être était-elle meilleure).


Alors le film se regarde gentiment, tout de même… Les (vrais) animaux exotiques mis en scène assurent le spectacle : les tigres font leur taf de tigres, les éléphants d’éléphants et Bimbo le singe mignon et rigolo de singe mignon et rigolo. La palme de la mignonitude (sic) revenant tout de même à l’éléphanteau Chang (un terme qui signifie en fait « éléphant » pour les locaux). Et pour cause : Chang est petit, Chang est inoffensif, Chang barrit, Chang mange (suite à quoi Chang chie – vous l’avez ?), bref, Chang donne tout simplement son nom au film parce que c’en est l’attraction la plus choupi.


Mais bon, heureusement pour nous autres spectateurs, Chang a une maman éléphant qui va être toute colère lorsque les humains vont mettre le grappin sur son fils… et qui va le montrer en détruisant la hutte de la famille d’indigènes. Et en parlant pachydermes, je ne peux pas ne pas mentionner la scène la plus impressionnante du film : une charge d’une centaine d’éléphants (le troupeau personnel du frère du roi du Siam, loué à la production) captée – entre autres angles – à hauteur de sol… et de face (!) par Cooper et Schoedsack qui, pour obtenir ces plans, se sont enterrés dans une fosse recouverte de rondins placée sur le parcours des mastodontes. Un plan encore inédit pour l'époque et qui impose toujours le respect aujourd’hui. Perso, je n’aurais pas osé…


Mais bon, à cette scène prêt, tout ce qui est sympa dans ce film (le concept de la famille vivant en harmonie dans la jungle, le singe domestique rigolo, les attaques de gros félins, les charges d’éléphants), je l’ai en réalité déjà vu en bien mieux dans les Tarzan de la décennie suivante (au demeurant possiblement inspirés par ce Chang – quoiqu’il y ait eu des films Tarzan avant ce dernier).


Bref. Ce Chang aura certainement eu le mérite de préfigurer moult films d’aventure sympas – et je l’en remercie – mais je n’en garderai pour ma part pas un souvenir impérissable (euphémisme). Sans rancune : Cooper et Schoedsack m’auront marqué avec bien d’autres films !

ServalReturns
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le 23 janv. 2022

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