Dès le générique il y a quelque chose de trouble. Les noms s'affichent en blanc sur fond noir, rien d'anormal, mais il y a un élément à peine perceptible mais perturbant. Les noms glissent légèrement, ne tiennent pas à leur place. Le film annonce un léger dérèglement, un grain de sable dans un mécanisme bien huilé.
Le mécanisme de base n'est déjà peut être pas si parfait. Myriam (Leila Bekhti) s'occupe de ses deux enfants, un nourrisson et une petite fille de cinq ans environ. Elle ne vit plus que pour eux, et éprouve le besoin de reprendre le travail et de quitter cette position de mère au foyer. Avec Paul (Antoine Reinartz), son mari, ils décident (lui se fait forcer la main, appréciant se confort de la femme-mère au foyer) d'engager une nourrice. Ce sera Louise (Karin Viard) au profil surprenant, à l'expérience sûre et à l'évidente délicatesse et disponibilité.
Les premiers plans sur cette nounou sont perturbants, hors du temps, étranges. Son profil figé comme si elle prenait la pose. Sa nuque nette, et les parents dans le flou. La mise en scène vient déjà nous dire, attention, ça cloche quelque part.
La mise en scène est donc intéressante sur ce point. Elle crée un véritable décalage. Dans le récit, tout va bien, La première partie du film pourrait être très banale. Le triangle parents, enfants, nourrice ; la place de l'éducation de chacun, le travail, la famille. Un jeu de tension bien mis en place, on sent qu'il se passe quelque chose, que quelque chose n'est pas à sa place, sans pouvoir distinguer où est véritablement la menace ...
Le film a donc une belle réalisation, avec un découpage bien pensé, des jeux de flou, de cadrage originaux. Mais pas le performance ou de prise de risque particulière. Une belle lumière sans être assez pour la remarquer, des costumes bien choisis mais discrets. En bref, une mise en scène du réel très convaincante.
La force de Chanson Douce, tient principalement dans l'évolution du récit, et la lente transformation des personnages. L'irruption progressive de la personnalité ambivalente de la nounou (Karin Viard est un très bon choix) qui s'accapare ces enfants qui ne sont pas les siens, qui a des comportements inappropriés, néanmoins, restant toujours assez maligne pour ne pas se faire avoir. Ce qui est réussi, c'est aussi le psychologique. On ne cherche pas à expliquer tel ou tel geste, à le comprendre, le justifier. Le spectateur reçoit tout en pleine face.
La musique souligne particulièrement bien cette évolution. Une très belle mélodie tout du long, composée à l'image et elle même suit cette angoisse montante.
Quant à Karin Viard, le choix est assez évident. C'est un type de personnage qui lui est depuis cinq voire dix ans assez attribué au théâtre et au cinéma. Elle ne déçoit pas même si c'est un rôle dans lequel on l'a déjà vu. Elle a cette force de rendre l'histoire vraisemblable. Il n'y a jamais de raison affirmée pour déterminer la raison de ses actes. Pour autant, toute cette spirale semble découler naturellement à travers son jeu et la mise en scène.
Le personnage de la mère de Paul est très riche mais apparaît peu. C'est une vision rétrograde que l'on aimerait écarter, mais qui dans ses propos ne se trompe pas tant. Ainsi, après la projection, son fantôme plane en mémoire. Ils auraient pu faire autrement.
Bien des gens dans le public reste au générique final afin de réfléchir je pense, plus que pour regarder les noms. Il y a un temps nécessaire de retour à la réalité. Cette histoire aurait pu être vraie. L'a-t-elle été ? Les images s'infiltrent dans l'inconscient, et il faut alors remettre en question la confiance que l'on accorde.
Le film est donc assez singulier, bâtard sans père ni mère. Bâtard aussi, parce qu'il n'est pas pur, pas dans la pure tradition du thriller psychologique, pas dans le film social, pas dans le film d’horreur, pas conventionnel. Et pourtant, loin d'être dénué d’intérêt. Il pose de belles questions sans répondre à toute. Une belle expérience qui ne demande qu'à s'aboutir davantage dans les prochains films de Lucie Borleteau, la réalisatrice. Pas besoin d'avoir lu le livre pour s’intéresser au film (mais les lecteurs s'y retrouveront) et je crois que le film ne donnant pas de réponse, posant uniquement des questions, le spectateur voudra se tourner vers le livre pour trouver des réponses, justifier des actes. Mais, tout ne s’explique pas ...