2257, New World, une planète colonisée par les humains. A Prentisstown, le jeune Todd Hewitt (Tom Holland, excellent) cherche sa place au sein de la communauté, grandissant entre ses deux pères adoptifs (Demián Bichir et Kurt Sutter) depuis que sa mère a disparue, en même temps que toutes les autres femmes de la ville. Comme tous les autres hommes, il essaye d'apprendre à maîtriser le Bruit, mystérieux phénomène qui fait que les pensées de tous les hommes apparaissent constamment aux yeux de tous, sous les encouragements du maire Prentiss (Mads Mikkelsen). Le crash d'un vaisseau non loin de Prentisstown va bouleverser la vie de la communauté, lorsqu'on découvre que l'engin a amené sur la planète une créature dont les hommes n'avaient plus entendu parler depuis bien longtemps et dont les pensées sont étrangement impénétrables : une femme...
On le voit venir gros comme une maison, et on ne se trompe pas : Chaos Walking sera une énième occasion d'aborder la guerre des sexes et le méchant patriarcat dominateur qui écrase les femmes sous son joug sexiste, fruit d'une humiliation déplacée que ledit patriarcat croira pouvoir résoudre par un trop-plein de virilité. C'est dire que le film de Doug Liman ne se placera pas sous le signe de la subtilité. Et pourtant, ce n'est pas faute d'essayer...
Ce qui frappe tout d'abord, c'est l'évidente bonne volonté de Doug Liman et de son équipe. En effet, Chaos Walking ne révèle qu'une ambition : pas celle du grand spectacle (c'est sa faute), mais celle de ne pas être un film facile. Les scénaristes Patrick Ness (auteur du roman) et Christopher Ford essayent désespérément de créer un univers dense, qui ne sacrifie pas trop aux clichés du genre, et qui témoigne d'un minimum de complexité. Intention louable s'il en est et qui titille dur notre indulgence vis-à-vis d'un film aussi intéressant sur le papier, mais qui ne lui évite pas le naufrage...
S'il y a bien des gens qui ne sont pas responsables du naufrage, en tous cas, ce sont indéniablement les acteurs. Dans chacun de ses rôles, Tom Holland a toujours brillé par la justesse de son jeu, et Chaos Walking confirme encore une fois toute l'étendue de son talent, de même que Daisy Ridley, avec qui il occupe merveilleusement tout l'espace que le scénario leur accorde. Ils réussissent même à donner autant qu'ils peuvent à leurs personnages l'épaisseur que les scénaristes leur refusent sans cesse, c'est dire !
Quant aux seconds rôles, ils sont tous plus excellents les uns que les autres : s'il n'est pas au maximum de sa forme, Mads Mikkelsen fait bénéficier son personnage du magnétisme qu'il incarne dans chacun de ses rôles, tandis que la simplicité de la merveilleuse Cynthia Erivo anime de belle manière son personnage malheureusement trop peu présent à l'écran. De son côté, Demián Bichir se taille la part du lion avec le seul rôle véritablement émouvant du film, et qui permet à l'acteur de déployer toute une palette de sentiments insoupçonnées de prime abord.
Finalement, seul le pourtant sympathique David Oyelowo ne réussit pas à sortir du rôle infâme de fanatique dangereux de l'ornière dans laquelle des scénaristes peu complaisants l'ont plongé. Il n'a rien d'autre à faire de tout le film que de répéter ad nauseam "Le jugement est proche", "Je suis un pécheur", et "Il faut expier ses péchés" avec toute la finesse qu'on est en droit d'attendre d'un rôle aussi pénible et caricatural...
Cette (quasi-)perfection dans le casting est de très loin ce qui sauve le film du désastre, et même la seule raison qui pourrait pousser le spectateur, quel qu'il soit, à tenter ce film somme toute pas insupportable non plus.
Ce qui est rageant, en revanche, c'est de voir autant de talent mis au service d'un scénario aussi insipide. Car finalement, malgré tous les efforts des scénaristes susmentionnés, c'est bien de là que vient le mal. Patrick Ness et Christopher Ford ont commis deux erreurs : miser sur le registre young adult alors que la vague est passée depuis longtemps et vouer une trop grande confiance à leur scénario. Non que celui-ci soit fondamentalement mauvais (malgré une certaine dérive idéologique déjà abordée), mais au contraire, en voulant créer un univers un tant soit peu dense et crédible, ils en oublient tout spectacle.
Les grandes oubliées de Chaos Walking, ce sont bel et bien les scènes d'action. Si la plupart des séquences de poursuite témoignent d'une certaine efficacité, aucune d'entre elles ne réussit à susciter plus qu'un intérêt poli et la satisfaction de voir enfin quelque chose bouger à l'écran. A cet égard, la pauvreté du climax est un véritable scandale. Ce que Ness et Ford semblent avoir oublié est finalement bien simple : en plus de créer un univers cohérent et accrocheur, un premier épisode de saga doit particulièrement soigner son grand spectacle pour espérer ramener son public devant l'épisode suivant. Dans le cas de Chaos Walking, il paraît évident qu'il n'y aura jamais d'épisodes suivants, et la responsabilité en incombe avant tout aux scénaristes. Quand l'enjeu de la péripétie la plus palpitante du film est la mort d'un chien, c'est tout de même qu'il y a un problème...
A partir de là, le directeur de la photographie Ben Seresin peut essayer de dynamiser au maximum ce qui est montré à l'écran, il n'arrivera jamais à rien d'autres qu'à créer quelques images plaisantes dont le moindre des succès n'est déjà pas d'avoir réussi à enlever du film la caméra tremblée qu'affectionne tant Doug Liman. Quant à Marco Beltrami, sa présence à la bande-originale est bien révélatrice de l'absence d'ambition des producteurs...
Et tout cela est d'autant plus dommage qu'à chaque minute, le film révèle un réel potentiel, mais un potentiel inexploité. Si le concept du Bruit est relativement bien utilisé dans la narration, le monde créé par Patrick Ness n'utilise jamais toutes ses ressources pour nous émerveiller (des plans de forêts de sapins, c'est joli mais ça lasse) et laisse de côté bien des pistes intéressantes.
On félicite au passage les types qui ont décidé que ce serait super de mettre des extraterrestres dans l'univers du film pour n'en montrer qu'un seul dans une seule scène du film et balancer la scène quasi-complète dans la bande-annonce. A ce niveau, c'est du génie.
Bref, finalement, tout ce qui ressort de Chaos Walking, c'est à la fois l'ambition d'avoir voulu fignoler un univers certes prometteur et l'absence totale d'ambition spectaculaire. Finalement, Chaos Walking aurait fait un bon premier épisode de série, en posant tranquillement des bases intéressantes à développer par la suite. Mais quand l'existence même des épisodes suivants repose sur le pouvoir d'attraction du premier épisode, refuser le grand spectacle est forcément un mauvais calcul.
Il faut d'ailleurs croire que les scénaristes ont fini par être rattrapé par la réalité des choses, puisque le film ne se permet même pas de terminer sur un cliffhanger pour appâter son monde. Au moins, ça nous évite une bonne frustration...
Dommage, on aurait vraiment aimé voir ce que ça donnerait, développé en trilogie, surtout si Robert Zemeckis avait bel et bien réalisé la saga comme c'était initialement prévu...