“Calm Without, Fire Within”, le titre d’un essai publié par Satyajit Ray dans son ouvrage Our Films, Their Films. Une belle description de Charulata, personnage éponyme du sublime film de Ray, sorti en 1964, lui-même tiré de la courte fiction de Rabindranath Tagore (un grand parmis les plus grands). Car en effet, malgré sa quiétude apparente, Charulata renferme un certain feu intérieur.

Cette femme calme, éternellement seule, à l’esprit un peu rêveur, que l’on voit dès la première scène confinée dans sa grande maison pour ce qui semble une vie entière, à passer d’une pièce à l’autre, toujours un livre en main, semble bien faire parti du décor: un beau meuble parmi les autres. Son mari, Bhupati, n’arrive pas à la sortir de sa solitude et de son ennui: il ne partage pas les mêmes intérêts, trop occupé à tenir son journal politique, et ses tentatives d’encouragements l’ennuient seulement. La vie de “l’oiseau en cage” va cependant être chamboulée lorsqu’Amal, frivole cousin de Bhupati arrive chez le couple lors d’une journée d’orage (littéralement). Les deux vont doucement se rapprocher au fil de leurs discussions autour de la littérature et le jardin de la maison va peu à peu devenir leur bulle intime. La subtile et impeccable réalisation de Ray évoque de par des non-dits et des jeux de regards la naissance de sentiments.

Un élément que j’aime particulièrement avec ce film est la façon dont les acteurs incarnent leurs rôles avec une alchimie presque parfaite. Soumitra Chatterjee, habitué des films de Ray, colle parfaitement au personnage un peu désinvolte d’Amal et la douceur de Madhabi Mukherjee (elle aussi une habituée de la filmographie de Ray) rend le personnage de Charulata aussi parfait que possible. De plus, les personnages du film ont l’air infiniment réels. Bhupati qu’on pourrait croire comme le villain de l’histoire (participant au confinement et à la solitude de Charu) n’en est rien: il ne partage simplement pas les mêmes centres d'intérêts qu’elle et essaie de son mieux, à son échelle, de la rendre heureuse. La réalisation et scénographie du film est hors pair.

Charulata est un film d’intérieur, dans la globalité assez lent mais qui, comme le disait si bien le New York Times, “bouge comme un escargot majestueux”, nous laissant le temps de sympathiser avec les personnages. Beaucoup passe par les regards et la bande son. Celle-ci, composée par le réalisateur lui-même (comme il avait l’habitude de faire) est un des éléments marquants du film: elle renforce chaque image à la perfection et fait partie intégrante de la sublime de Charulata. Même si la distance entre la culture Européenne et Bengalie est remarquable, l’émotion si raffinée de ce film se partage de manière universelle: nul besoin d’avoir toutes les références littéraires ou politiques Bengali pour ressentir la magnificence des sentiments évoqués.

Charulata, un sublime film que je recommande avec grand plaisir (la version de Tagore en vaut le détour elle aussi)!

umnni
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le 2 oct. 2022

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