Gibier humain
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le 24 janv. 2020
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Le cinéma d'action est peut être le plus grand marqueur de la vitalité du Septième Art. Le genre s'est incontestablement dissous dans les divers super productions héroïques durant la décennie 2010 mais les sagas actuelles issues du premier sang, persistent à travers quatre voire cinq franchises monstres : Mission Impossible, John Wick, Fast and Furious, James Bond et Jason Bourne . Des traitements aussi divers sur l'enveloppe cinématographique que sur la manière de tordre les corps, de composer avec les performances physiques, de plier matériaux et véhicules ou d'accéder à la douleur physique. Et même en période de récession, le film d'action peut toujours compter sur de nouveaux prétendants prêts à lui rendre ses lettres de noblesse pour le meilleur -Gareth Evans- ou pour le pire -David Leitch ?- ou survivre à travers les plateformes de streaming, dernier bastion de la série B.
Il est difficile d'estimer l'âge d'or du genre sachant que ses racines proviennent probablement du Bullit de Peter Yates mais aussi de la saga Dirty Harry. Clint Eastwood ayant d'ailleurs accéléré les choses une seconde fois avec L'Épreuve de force en 1977 assumant totalement l'image du baroudeur à la punch line facile causant d'inévitables dégâts matériels. À partir de ce bagage clairement identifié puis récupéré par les premiers polars urbains de Burt Reynolds, une toute nouvelle génération de réalisateurs/producteurs/scénaristes s'est engouffrée dans la brèche. Aux formes plus généreuses, au tempo plus soutenu et à la force de l'écriture, l'action moderne se (re)définie par des protagonistes ayant la capacité de tisser plus de lien avec le spectateur. Richard Donner et John McTiernan alors membre de l'écurie Silver ont pleinement participé à ce renouveau autant que Tony Scott dans le stand Bruckeimer/Simpson.
John Woo, le p'tit candide
L'apport constant de sang neuf est aussi la force des Studios dans le renouvellement du genre. Si l'on reste un tant soit peu honnête face au premier film de Woo, le temps ne constituera jamais sa pierre philosophale. En cause sa direction d'acteur d'une étonnante légèreté qui sonne à l'oreille comme une guitare désaccordée. Un clou sous la semelle qui ne s'efface que lorsque le noble mouvement reprend ses droits. Souvent négligé, Hard Target constitue d'une certaine manière la seconde pierre posée dans l'élaboration du genre. John Woo n'est pas un esthète de l'image comme beaucoup de choses laissent le supposer. Woo est un esthète des corps et son approche de la violence bien moins sèche que ses homologues de l'époque. Dans Chasse à l'homme, Van Damme musculeux tranche radicalement avec la légèreté de Chow Yun Fat. L'idée de la perte de gravité inhérente au cinéma du réalisateur ne fonctionne pas sur ce premier essai. En revanche, la caméra épouse le mouvement de manière plus frontale. L'idée du ballet habituellement si coutumière prend ici une forme plus rigide. Ce que le film perd en déplacement gracieux, il le gagne en force brut. En imposant son geste artistique si particulier au cinéma des studios, Woo prolonge l'idée à la fois physique et culturelle de son art. Le filtre cinématographique occidentale imposant des règles imaginaires de distanciation entre le réalisateur et son sujet (pudeur, déontologie) se voit par la focale asiatique complètement brisée. Il n'y a aucun à priori à zoomer sur le visage de Van Damme après une salve d'action afin d'en recueillir l'émotion comme il n'y a aucune peur à toujours creuser plus profondément le sillon du manichéisme. Les visages grimaçants de Lance Henriksen et Arnold Vosloo sont aussi là pour rappeler à quel point le camp adverse est capable des pires saloperies. Avec ses enjeux clairement dégagés et sa fonction de série B hard boiled, ce premier jet a tout du film laboratoire. Un hybride qui réussit presque à dissoudre la pulpe asiatique dans un environnement occidental.
L'Héritage
Pour celui qui est coutumier du western des années cinquante de la première partie de soirée avec ses lonesome Cowboys, ses veuves esseulées et ses bad guys de l'autre côté du spectre de la bonté, Chasse à l'homme s'octroie l'esprit du divertissement à l'ancienne. L'actioner retourne à sa forme originelle à travers ses personnages à peine esquissés, son format 2:35 allongeant ses décors naturels et sa micro durée. C'est avant tout la conception d'un cinéma hérité des anciens et chargé d'histoire qui défile devant les yeux gourmands du spectateur. Le western est probablement le genre qui illustre le plus le film de Woo au même titre que les Les Chasses du Comte Zaroff confirme la nature sauvage du projet. Un journaliste éclairé du magazine Positif avait écrit à propos de Broken Arrow : "C'est tellement beau que l'on dirait du Anthony Mann." Des propos que l'on pourrait rapprocher aux premiers travaux de Woo tant les figures archétypales "matchent" avec le décorum de l'ouest sauvage. Un étonnant paradoxe puisque le lyrisme du réalisateur Chinois s'évertue à troubler le matériau classique de base.
Très souvent assimilé à un nanar par l'occidental rigolard perché tout en haut de son mirador, Chasse à l'homme est un pur film métisse certes branlant mais passionnant pour tous les amoureux du Woo.
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le 23 nov. 2020
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