It's a sin to kill an elephant, that's why I want to do it
Cela m'étonne toujours lorsque je discute d'Eastwood (mais non, ce n'est pas tout les jours!!!) : "White Hunter, Black Heart" n'est que trop rarement abordé! Quatorzième oeuvre d' Eastwood, ce film (qui suit "Bird") marque un tournant dans la carrière du Clint réalisateur. Il délaisse les films de genre (westerns, policiers ou autres buddy movies) pour une réalisation "classique" qui annonce les chefs d'oeuvre futurs (Sur la route de Madison,Mystic River, Gran Torino.....). Adapté du livre éponyme de Peter Viertel (scénariste et écrivain américain) racontant le tournage de "The Africa Queen" et centré sur son réalisateur John Huston, Eastwood nous livre le portrait d'un homme rongé par une obsession (et dieu sait qu'il aime ce type de personnage, Clint). On pourra d'ailleurs s'amuser à reconnaître l'auteur du livre ainsi que Bogart, Hepburn......interprétés par des comédiens efficaces.
John Wilson donc (Eastwood himself) est un réalisateur ingérable, entêté, que rien n'impressionne. Une sorte de trompe la mort que rien n'effraie, cynique, égocentrique et égoïste. Le genre d'homme qui se fiche de ce que pense les autres et qui possède le recul nécessaire sur lui même et son statut pour rester maître de son destin.Son dernier projet: aller tourner un film d'aventure en Afrique. Mais ce qu'il n'avait pas prévu et qu'il n'arrive pas maîtriser, c'est l'apparition d'une obsession, tout d'abord une simple idée (un safari, quoi de plus normal en Afrique) qui peu à peu le dévore. Il ne commencera pas le film (et sans se soucier des conséquences pour les autres) sans d'abord avoir tuer la plus magnifique et impressionne bête qu'il soit: un éléphant! Et on en arrive à une introspection malsaine et inexplicable comme en convient lui même John quand on lui fait remarquer que c'est un crime: "Tu te trompes. Ce n'est pas un crime de tuer un éléphant. C'est bien plus que ça. C'est un péché de tuer un éléphant (...). Le seul péché pour lequel on puisse acheter un permis. C'est pourquoi je veux le faire avant toute autre chose." Mais que cherche - t -il donc? Assurer sa place en enfer?
Mais "White Hunter, Black Heart" n'est pas qu'un film sur l'obsession d'un homme. A travers John Wilson, Eastwood nous offre également une critique sans concession d'Hollywood : ses producteurs dont seul le succès populaire importe, ses acteurs et leur petit confort, l'hypocrisie générale et ses mensonges...... Un monologue de John Wilson suffit à tout résumer:
-"Hollywood est un endroit où on fait un produit. Une ville usine comme Detroit, Birmingham ou Schaffhouse. (...) On ne parle pas de ceux qui y travaillent de leur mieux. On parle des putes quand on parle de Hollywood! Une pute vend la chose que l'on ne devrait pas vendre: l'amour! Il y a d'autres putes que celles que vous fréquentez. Des putes qui vendent des mots, des idées, des mélodies. J'en sais quelque chose, j'ai un peu fait le trottoir. Bien plus que je ne voudrais l'avouer. Et ce que j'ai vendu en tapinant est perdu pour toujours. Je veux dire que ce sont les putes qui ont fait de Hollywood une cible!"
Voilà tout le personnage de John Wilson en quelques mots. Mais est-ce Wilson ou Eastwood derrière ces paroles....
Enfin, "White hunter, black heart" est une magnifique déclaration d'amour au continent africain (et même si par moment Eastwood tombe un peu dans le cliché du dépliant touristique): des paysages splendides, un face à face avec les éléphants de toute beauté et un respect sincère des peuples africains. Tout en en mettant une bonne couche sur le racisme latent de ces expatriés "civilisés" y vivant comme dans un territoire conquis. La scène du repas avec la femme n'hésitant pas à dire au sujet des juifs: "Je ne devrais pas vous le dire mais c'est le seul point où je donne raison à Hitler" devant Pete Verrill (un des meilleurs rôle de Jeff Fahey) lui même juif et la façon dont Wilson la reprend de volée (très Eastwoodienne cette façon) est jouissive.
Je ne peux que conseiller aux anti Eastwood de découvrir ce portrait d'un personnage invivable, certes, mais souvent touchant, parfois énervant afin de découvrir une autre facette de ce formidable réalisateur. La réalisation est simple mais soignée (de toute façon, Eastwood va toujours au plus simple ce qui a pour conséquence certaines incompréhensions à son sujet, il a les défauts de ses qualités parfois....), l'ensemble des acteurs est au diapason (mention spéciale au trop peu connu George Dundza (qui joue Paul Landers le producteur), qui se démène comme un beau diable pour sauver son film. Bref un vrai bon moment de cinéma, et il est malheureux que ce film n'ait pas plus de considération.