Si on a apprécié Bandit contre samouraïs, aucune raison que ce ne soit pas le cas avec Chasseurs des ténèbres, Gosha nous livrant tout simplement un film au récit plus maîtrisé dans les multiples sous-intrigues dans lesquelles il nous plonge, une fois n'est pas coutume, au sein d'une lutte pour le pouvoir, dans un contexte où chaque chef de clan peut engager des tueurs pour régler leurs affaires personnelles. Mais là où il fait encore plus fort, c'est surtout dans son ton désespéré qu'on ne quitte pas d'une semelle, de la première à la dernière bobine (la ressemblance entre les films de Gosha et ceux de Peckinpah n'a jamais été aussi évidente que dans ce film, et ce n'est pas le climax sombre comme tout et plein de fureur qui me démentira).
Ainsi on suit plusieurs personnages à la fois mais sans que ça gêne la fluidité du récit, tous plus iconisés les uns que les autres, que ce soient (pour parler des principaux) le tueur amnésique et loyal tuant sans réfléchir jusqu'à ce que le passé finisse par le rattraper et le consumer, le chef des tueurs auquel il est lié (Nakadaï, toujours au top), tiraillé entre son ambition personnelle et son honneur quand il s'agit des siens, ou encore le puissant exécutant auquel ils seront opposés (le chef policier de Bandit contre samouraïs, au rôle cette fois-ci bien plus trouble), qui, lui, soutient l'autorité en place tout en tirant les fils à son avantage, au nom d'un rêve qui finira par détruire toute destinée personnelle qui aura le malheur de croiser sa route. Les rôles féminins ne sont pas en reste, qu'elles soient tueuses professionnelles ou amoureuses de ces hommes travaillant dans l'ombre. Au final cela donne un récit riche en rebondissements, traversé par une dynamique tragique toute shakespearienne où les jeux de dupes et de trahison sont légion, évacuant ainsi presque tout sens de l'honneur et de loyauté.
Le tout est sublimé par la mise en scène graphique de Gosha, qui nous offre ainsi un univers baroque et furieux où personne n'est épargné, malgré la tentative pour le chef des tueurs de préserver une sorte de paradis mobilier pour sa chérie, continuant comme si de rien n'était à observer ce qui se déroule réellement sous son plancher (une séquence aux allures d'un Chu Yuan!). De plus et pas des moindres, chacun des personnages étant bien caractérisé, on finit par s'y attacher, ce qui rend d'autant plus percutantes et déchirantes leurs fins déjà réussies en soi, résonnant parfois comme un chant du cygne (je pense surtout à la manière dont s'achèvent les retrouvailles de ce couple qui décidément n'a pas eu beaucoup de chance dans la vie). Rarement jusqu'à présent Gosha m'avait fait autant aimer ses personnages, tour à tour jouets du destin et des sentiments, ce qui donne lieu à des confrontations brutales et impitoyables (j'aime particulièrement celles de l'amnésique, sous le pont via une ruse fallacieuse et dans l'auberge où il est bien moins subtil).
Bref, c'est tout simplement selon moi l'un des meilleurs Gosha avec 3 samouraïs hors-la-loi, Goyokin, et Hitokiri, que ce soit en termes de fond (aucun personnage à jeter, la narration feuilletonesque est fluide et efficace) que de forme (l'ambiance crépusculaire est magnifique, Gosha intègre parfaitement ses influences, tant celles de Suzuki pour l'utilisation des couleurs, que celles de Misumi pour les affrontements teintés de gore et d'érotisme à la fois secs, nerveux, et bien découpés). J'allais oublier l'excellente musique de Sato qui sait être rythmée ou mélancolique au bon moment. A part un dernier acte un peu longuet une fois le passé du personnage amnésique révélé, je n'ai pas grand chose à reprocher à ce solide chambara. Et après revu tous les films '60-'70 de ce réalisateur, pour faire un petit topo sur ma rétro, je peux dire que c'est vraiment kiff-kiff entre les deux périodes. Malheureusement, il en sera autrement pour la suivante, de qualité très inégale.