Le regretté Umberto Lenzi, nom glorieux du cinéma populaire italien des années 70-80, n’avait pas encore connu d’édition hommage d’un de ses films à la suite de son décès. C’est enfin chose faite, et c’est sans surprise, pour le mieux, le Chat qui fume qui nous gratifie d’une belle édition d’un de ses projets les plus méconnus, giallo étonnant, généreux, et réflexif encore inédit jusqu’ici en France, que l’on peut découvrir dans une copie sublime.
Entrer dans un giallo peut demander un certain effort. Les codes parfois un brin systématiques, la mise en scène virevoltante, les couleurs chatoyantes, l’irremplaçable whodunit en guise de moteur de récit, etc…Tout cela peut mettre à distance le spectateur. Cela peut avoir également l’effet inverse : le spectateur habitué de ces codes les admet avec trop de facilités. Dans Chats Rouges dans un Labyrinthe de verre, on retrouve bien tous ces codes, dans une mise en scène plus métrique et rationnelle que les envolés virtuoses et autres mouvements de caméra alambiqués qu’on peut trouver chez Dario Argento ou Lucio Fulci. Pourtant, les artifices s’accumulent bien. On suit un groupe de touristes américains s’exprimant tous dans un italien parfait en plein cœur d’un voyage à Barcelone… Un tueur tout de rouge vêtu (on peut même dire qu’il porte un poncho rouge) les assassine un par un. Les personnages sont des figures stéréotypées (la palme allant au Ricain à chemise hawaïenne et cigare), comme les simples pièces du puzzle de la narration. Ce sentiment est accentué notamment par une certaine bêtise des personnages, jamais capables de s’extirper du massacre orchestré, jamais vraiment inquiets de voir tout le groupe progressivement décimé, jamais près de décoder des symboles et indices pourtant évidents. Tout cela pourrait rendre le film ennuyeux, agaçant et peut-être même un brin cynique. Puisqu’effectivement, ce vernis d’artifices semble bien volontaire, comme si Lenzi nous demandait d’interroger ce que nous regardons, et le potentiel falsificateur des images.
Toutefois, Chats Rouges dans un Labyrinthe de verre n’est pas cynique et ne méprise pas le genre, il réinvestit ses codes et son systématisme à outrance pour redoubler de ludisme et de réflexion. Comme pour insister sur cette dimension réflexive autour de l’image, le meurtrier retire un œil à chacune de ses victimes, et sans trop en dévoiler, une bonne partie de l’intrigue se résoudra à l’aide d’une photo tronquée. Lenzi ne pousse pas forcément un symbolisme autour du regard, et il déçoit partiellement sur cette question (surtout quand il règle son intrigue finalement sur un trauma assez convenu) mais l’étrangeté globale de son bébé et la puissance graphiques de ces visions de cadavres à un œil – et surtout de cette séquence incroyable où l’on voit le criminel effectuer l’opération ignoble – lui donnent quelque part une puissance voyeuriste, comme beaucoup des plus grands gialli. Pour tout cela, ce film d’Umberto Lenzi pourrait apparaître comme une œuvre d’initiés possible à défendre à coups de sentences théoriques mais sans véritable plaisir de spectateur. Il n’en est rien. Il y a une jubilation opérante, et mystérieuse, face à ce long-métrage, pour le spectateur suffisamment attentif et participatif. Celui-ci peut être aidé par la partition comme souvent remarquable de Bruno Nicolaï et son thème principal, dont le cinéaste use à outrance sur l’ensemble du récit. Cette omniprésence, comme tous ces codes surabondants déjà évoqués plus tôt auront forcément de quoi rebuter certains spectateurs, mais il faut se laisser prendre à jeu de massacre amusant qui transpire la joie de faire du cinéma populaire de cette époque, de manipuler et de jouer avec la crédulité de son spectateur.
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