Dans l'Angleterre de la fin du XIXe siècle, un fabricant de chaussures acariâtre et misogyne tient sa boutique ainsi que ses trois filles d'une main de fer, passant plus de temps à l'échoppe du coin qu'à travailler. Il autorise ses deux plus jeunes filles à trouver un mari, avec la dot qui ira bien, mais tient à ce que l'ainée reste auprès de lui pour tenir le magasin, quitte à ce qu'elle soit une vieille fille. Mais cette dernière, Maggie, ne va pas se laisser dicter la conduite...
Dans la longue carrière de David Lean, on ne peut pas dire qu'il se soit beaucoup frotté au genre de la comédie ; L'esprit s'amuse et celui-ci, tiré d'une pièce de théatre. Il en résulte non seulement un film merveilleux, mais aussi admirablement réalisé, tout en tirant le meilleur de ses comédiens, Charles Laughton en tête.
Le sujet de Chaussure à son pied concerne le libre arbitre, qui n'est pas décidé par ce père ronchon, où le monde doit tourner autour de sa personne et sa boutique, ses trois filles étant aux soins pour lui, et son cordonnier, joué par John Mills, est enfermé dans une cave au sous-sol à faire des chaussures pour un salaire de misère. L'ainée des trois filles, jouée par Brenda De Banzie, va ainsi avoir une relation avec cet homme au départ non pas par amour, mais pour forcer le destin vis-à-vis de son père et ainsi s'émanciper du pouvoir patriarcal. Ce cordonnier, joué par John Mills, est également très intéressant, car d'un simple nigaud qui se fait battre par son patron pour avoir osé se révolter, va prendre de l'assurance en étant avec Maggie, car le meilleur de l'homme se trouve dans la femme, dit-on...
Bien entendu, la plus grosse performance étant celle de Charles Laughton, lequel joue un personnage qu'on peut ne pas aimer, qui reste campé sur ses positions, mais dont l'alcoolisme de plus en plus forcé, qui va le mener à cette scène magnifique de lune dans le caniveau, puis à un delirium tremens le rend au fond plus pathétique qu'autre chose, car on comprend qu'il y a autre chose derrière tout ça, notamment le fait qu'il soit veuf, et qu'il ne veut pas rester si ses filles quittent le foyer familial.
Mais quelle mise en scène de David Lean ! Bien que ça soit tiré d'un pièce, il y a tout de même plusieurs passages à l'extérieur, tous dans ce même quartier où tout le monde se connait, où la caméra semble serpenter dans ces rues. Pour un film dit mineur, avant par exemple le très bon Vacances à Venise, j'ai été étonné de la maturité de la réalisation. Et, en plus, c'est assez drôle grâce au cabotinage de Charles Laughton, et une scène ô combien métaphorique où John Mills semble être devenu une autre personne après qu'il aille rejoindre sa femme au lit pour ce qu'on suppose leur première nuit ensemble.
Il est inutile de discuter aujourd'hui de l'immense talent de David Lean qui l'a prouvé des tas de fois, Lawrence d'Arabie étant un de mes films favoris, mais là, je ne peux que recommander aux gens de le découvrir dans un versant plus comique, c'est bonheur à l'état pur.