Cheap Thrills par Gilles Da Costa
Dernier représentant d’une nouvelle veine du cinéma d’horreur que la presse américaine qualifie assez grossièrement de “Mumblegore” - un placard bien pratique dans lequel le magazine LA Weekly s’est empressé de ranger des réalisateurs comme Ti West, Adam Wingard ou David Bruckner -, le jeune E.L. Katz s’est d’abord fait connaître comme scénariste avant de s’intéresser à la mise en scène. Son premier long, Cheap Thrills, comédie noire brutale ancrée dans les préoccupations douloureusement terre-à-terre d’un monde en crise, explore la descente aux enfers d’un duo prêt à tout pour sortir de la mouise. Un brûlot terrifiant et excessif, ayant la bonne idée d’aller jusqu’au bout de son sujet avec une énergie dévastatrice.
Écrivain ne parvenant pas à vivre de son art, Craig est employé dans un garage en attendant que la roue tourne. Quand son patron décide de réduire les effectifs afin de survivre à la crise, il se retrouve au chômage avec une femme et un enfant à charge, au fond du trou. Par hasard, il croise alors Vince, un ami d’enfance dans une galère similaire. Les deux hommes partagent quelques souvenirs et quelques verres avant de rencontrer Colin et Violet, un couple machiavélique qui les entraînera dans une spirale pernicieuse en leur offrant de l’argent afin qu’ils relèvent des défis toujours plus vicieux.
Ray Fernandez vous en a déjà fait l'éloge lors de sa superbe couverture du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg, mais impossible pour moi de ne pas revenir sur cette petite bombe nihiliste venant qui plus est de remporter le prix du Long Métrage International à l’issue de ce PIFFF 2013. Car Cheap Thrills est incontestablement une des belles surprises du festival. Choisissant un sujet délicat pour frapper avec insistance là où ça fait mal, E.L. Katz nous sert un film radical et jusqu'au-boutiste ne reculant devant aucun excès sans jamais tomber dans la caricature grasse.
Très intelligemment, il injecte dans son pamphlet une bonne dose d’humour afin d’imposer sans doute un certain recul salvateur par rapport à un sujet trop lourd à aborder au premier degré. Il choisit d’ailleurs de s’appuyer sur un groupe d’acteurs (tous excellents) rompus à la comédie et à l’improvisation comme Pat Healy et surtout le survolté David Koechner, histrion vociférant qu’on a notamment aperçu dans le génial Anchorman ou la version américaine de la série The Office. Cheap Thrills parvient ainsi à naviguer dans les eaux troubles de l’utra-violence et du crado sans pourtant tomber dans le glauque ou la facilité, ce qui en soi est une performance à saluer.
Mais cet accoutrement punk du mauvais goût le plus réjouissant ne saurait résumer un shocker ayant beaucoup plus à offrir qu’un simple coup de latte dans les gencives. Car Cheap Thrills est surtout un film extrêmement malin et remarquablement équilibré, constamment sur la corde raide entre absurdité et horreur pure et dure. Exploitant parfaitement ses 85 minutes, le métrage parvient ainsi à maintenir une belle tension grâce à un scénario sans temps mort montant sans arrêt en puissance jusqu’à un plan final iconique et limpide venant clore logiquement cette escalade malsaine.
Si Cheap Thrills vise juste thématiquement et narrativement, il présente aussi une forme servant parfaitement son propos. Tourné entièrement caméra à l’épaule en Arri Alexa, sans effets superflus ou esbroufe inutile dans le contexte de l’histoire, le film d’E.L. Katz réussit avec une économie de moyens remarquable à proposer une belle vision d’un Los Angeles nocturne. De plus, bien qu’une grande majorité du récit se déroule dans une seule et unique maison, la mise en scène nerveuse parvient toujours à proposer des idées intéressantes et ne tombe jamais dans la monotonie. Mais la grande force de l’approche d’E.L. Katz est surtout de parvenir à servir ce sujet casse-gueule sans complaisance, voyeurisme ou vulgarité tout en ne reculant jamais devant un certain degré d’exagération. Un vrai travail d’équilibriste.
Agressif, hargneux, Cheap Thrills pourra rebuter les uns par son côté vicelard sans concession, mais séduira les autres par son approche sauvage et rentre-dedans. Premier long audacieux d’un réalisateur qui, on l’espère, conservera cette rage essentielle dans ses futurs projets, ce film sans autre prétention que de traiter un sujet d’actualité dans le contexte du cinéma de genre, impressionne aussi par sa volonté de sortir des sentiers battus en analysant notre capacité à ignorer notre propre humanité dans l’adversité. Parabole sombre et finalement assez pessimiste sur la déliquescence de notre civilisation, Cheap Thrills n’est certainement pas la chronique sociale la plus subtile, mais c’est assurément la plus percutante.
Édité en France par LUMINOR / Sortie en DVD : 1er semestre 2014
États-Unis. 1h25. Réalisé par E.L. Katz