Titre faisant référence au titre québécois, qui pour une fois fonctionne un peu.
Hop, petit message au début pour vous dire que je spoil un peu le film…
Je vais commencer par exposer mon ressenti sur le film et en gros, j’ai vraiment bien aimé. Et pourtant je n’y croyais absolument pas. Jamais je n’aurai pensé mettre cette note. Et force est de constater que je me suis bien planté. Peut-être que c’est parce que j’ai regardé Boss Level, juste avant, mais le film fonctionne je trouve et est intéressant. Tellement qu’à la fin du film, je me suis dit qu’il fallait que j’écrive un petit truc dessus. Mais, ça c’était à la fin du film. Au début, et même bien avant, je n’étais pas confiant par rapport à ce film et ce pour deux raisons…
Les frères Russo, Joe et Anthony, réalisateurs méconnus jusqu’à leur quatrième long-métrage : Captain America : le Soldat de l’Hiver. Et ils ont continué à réaliser des films pour Marvel, notamment les films les plus importants tels que les derniers Avengers. Ils font très certainement partie des réalisateurs les plus connus et pourtant leur qualité de metteurs en scène n’est pas souvent mise en valeur. Paradoxe n’est-ce pas… Bref, les voir s’écarter du genre super-héroïque est assez intrigant pour se laisser tenter, mais j’avais déjà beaucoup d’a priori. En réalisant ce film, ils ont voulu prouver aux spectateurs et à eux-mêmes, qu’ils pouvaient basculer dans un autre registre sans problèmes. Et une chose est sûre...C’est qu’ils ont mis le paquet ! On y reviendra…
Le second problème : c’était Tom Holland. Voilà je n’aime pas son Spider-Man, je trouve qu’il n’a aucun charisme et qu’il ne nous offre pas une interprétation convaincante. Ca c’est pour les Spider-Man. Et qu’est-ce que j’ai pu cracher sur cet acteur, qui a réussi à enlever toute ma hype pour le film Uncharted. Je le trouvais surcoté, alors qu’il n’avait rien de spécial. J’ai même dit qu’il n’obtiendrait ni ne mériterait aucune grande récompense...
Mais une fois encore je me suis trompé. Déjà avec The Devil All The Time, il est venu démentir mes propos mais c’est bel et bien avec Cherry qu’il gagne en crédibilité. Que l’on aime ou pas l’acteur, force est de constater qu’il est excellent dans ce film. Il incarne à la perfection ce gamin perdu qui va s’enrôler, sur un coup de tête, dans l’armée et devenir accro aux drogues à cause de traumatismes. Il joue très bien cette sensation, cette faiblesse, dans sa gestuelle, lors qu’il extériorise dans sa voiture, par exemple et aussi dans son regard. C’est un rôle compliqué pour un film complet où il doit passer par toutes les émotions et il le fait bien, si bien que l’on ressent très vite de l’empathie envers lui, on s’attache à ce personnage et on s’intéresse à son histoire. Et évidemment, je n’oublie pas Ciara Bravo, qui mérite, elle aussi, tous ses éloges. Le reste du cast’ est bon, toujours juste, mais ce sont bien ces deux là, qui portent le film. Même lors des rares longueurs, ils réussissent à nous maintenir captivés. Une fois que le film et ses personnages vous attrapent, ils ne vous lâchent pas et on continue de les suivre dans leur descente aux Enfers…
Parce que c’est exactement ce que raconte le film. C’est l’histoire d’un jeune adulte qui va perdre au fur et à mesure son innocence, voire même son humanité. Et tout ça à cause de la guerre, des banques et de son addiction aux drogues. D’ailleurs, Cherry est un très long film où il se passe beaucoup de choses. Et je dois avouer qu’on les sent passer les 2h20. Alors attention, il n’y a rien de péjoratif là-dedans (oui c’est bizarre). Juste qu’à la fin du film, quand on repense au début, on a l’impression qu’il s’est écoulé beaucoup plus de temps. Et puis on se souvient d’où il vient et des obstacles qu’il a traversés. C’est pour ça que je dis que c’est un film complet avec des registres différents. Le long-métrage débute avec une sorte de film pour adolescents, mettant en scène une romance assez classique, mais bien réalisée, avant de tomber dans le film de guerre, suivi par l’horreur qui va avec, pour enfin tomber dans un véritable drame. Tout ça, servi par une très bonne mise en scène et beaucoup de style. Ils ont mis le paquet. D’autres avant ont fait ce constat, mais on dirait parfois, qu’ils ont pioché toutes ces figures de style dans un chapeau et les ont utilisées. On a même l’impression, avec tous ces plans et ces effets tape-à-l’oeil, qu’ils veulent nous exposer toute leur créativité et nous crier au visage qu’ils savent et peuvent faire autre chose. C’est beaucoup de style, ce qui n’est pas désagréable et en plus, selon moi, c’est justifié…
Déjà, le film critique l’armée. Ce que l’on peut comprendre directement avec ce changement de format. On passe à une image carrée. Une image assez étrange, notamment due à ces angles de prise de vue, et différente de la précédente, puisqu’elle amaigrit notre personnage, elle le déforme : peut-être une façon pour dire que cette expérience va le changer. Ce choix de format peut aussi montrer l’isolement de ces recrues : ils sont coupés du monde, comme en dehors de la réalité. Elle propose des espaces beaucoup plus restreints donc, montrant le piège qu’est d’intégrer l’armée. Notre personnage ne voulait plus y aller et maintenant, il est enfermé, emprisonné, dans cette structure, obligé d’obéir à des supérieurs euphoriques. Des supérieurs qui ne font qu’hurler pour déshumaniser ces recrues. La séquence des classes m’a rappelé le film Jarhead, avec sa légèreté, son ton satirique et ses répliques. Des supérieurs violents qui peuvent mettre à terre et étrangler leurs subordonnés sans aucune raison. Une période très éprouvante d’où les apparitions soudaines, en lettres rouges, des répliques des instructeurs. Ils leur gueulent dessus pour les former et les briser. Mais c’est aussi une séquence déstabilisante pour le spectateur, à cause tout d’abord de ce format, mais il y a aussi des plans déformés (distorsion), de la réverbération (pendant leur entraînement dans des escaliers), un montage et des mouvements de caméra assez brutaux, parfois. Alors, évidemment, d’autres films comme Full Metal Jacket, ont déjà dénoncé cette pratique, mais celui-là propose une mise en scène différente, que je trouve intéressante. De retour, dans le monde réel, avec le bon format, mais les supérieurs sont toujours aussi débiles, comme le prouve ce moment où Cherry conseille son chef, en vain. Mais, on peut aussi remarquer ce court passage, dans un camion, où le format change à nouveau : deux bandes noires en haut et en bas de nos personnages, pour encore plus les enfermer : ça y est ils sont en Irak…
Le film critique également le manque de reconnaissance de l’État vis-à-vis de ses anciens combattants. Dans une interview Tom Holland a annoncé qu’ils avaient du mal à retourner à la vie civile après leur formation. Et cela on peut le voir à plusieurs reprises. En effet, si au début du film, la profondeur de champ est très courte, c’est évidemment pour que l’on se concentre sur nos personnages. Mais lorsqu’il revient de la guerre on peut avoir une autre interprétation. Je pense à ce plan, au début du chapitre 4, où il découvre sa nouvelle maison : il est à gauche du champ et est le seul élément net. Le reste est totalement flou. Qu’il soit en treillis ou en civil, ça ne change rien. La guerre l’a traumatisé et il est compliqué pour lui de revenir à la vie normale. Il n’a pas sa place ici, il n’est plus fait pour vivre normalement et c’est pour ça qu’il va tomber dans la drogue, qui va lui permettre de s’échapper de ce monde. Et cette difficulté de reprendre sa vie, on peut le comprendre au travers de ce choix de ne pas vraiment cadrer notre personnage. Je pense à ce passage où il va chez le docteur Whomever (qui que ce soit : là aussi, un effet assez intéressant, qui montre que le doc’ s’en fiche ou qu’il ne pourra pas l’aider) : Cherry est en bas à gauche du cadre, en pleine plongée, contrairement à l’autre qui est au milieu du cadre et en contre-plongée.
Le film critique aussi, d’une certaine manière, les banques. On le voit dès le premier chapitre, lorsque Cherry va à la banque : son interlocutrice étant dans l’ombre. Et cette dernière ne va se découvrir que lorsqu’elle va lui donner de l’argent. Les noms de banques sont aussi assez subtils : Banks Fucks Amercia ; Shitty Banks. Voilà, c’est absurde, tout comme le fait que l’on brise le quatrième mur. C’est absurde et, selon moi, c’est en cohésion avec le ton du film, ou du moins le ton de la séquence. Le fait qu’il se mette à braquer des banques pour sa consommation de drogues, se vomissant dessus : c’est absurde. Et vous avez vu la facilité déconcertante des braquages ? C’est absurde (alors attention, ce mot n’est pas utilisé péjorativement hein).
Maintenant, je vais évoquer un plan que je trouve vraiment réussi : un plan-séquence bien venu proposant une scène de guerre convaincante. Un grand angle pour garantir le spectacle, avec des explosions de partout, la caméra s’avance petit à petit pour se recentrer sur ces hommes qui se battent face à un ennemi qui nous sera invisible. Un plan-séquence, peut-être, pour garantir et montrer un certain réalisme. Le réel du terrain, puisque c’est la première opération de notre personnage. A la fin de ce chapitre, lorsqu’il perd ses amis. C’est ce ‘réel’ qu’il va perdre. Le traumatisme de trop. En effet, il est là devant la carcasse du véhicule : on retrouve cette courte profondeur de champ, seul lui est net, le soldat venant lui parler étant flou. Certainement, pour montrer que déjà, le monde réel ne lui est plus accessible. C’est peut-être de la surinterprétation, mais j’aime bien^^. Suite à cela, il ne va plus répondre à la jeune fille et on aura plus de ralentis pendant le restant du chapitre...C’est la fin d’une expérience, mais aussi le début d’une autre, plus grave. Et on retrouvera ce ralenti à la fin du film, lorsqu’il se fait arrêter. C’est une nouvelle fois pour montrer le passage d’un état à un autre : il va se soigner.
Et cette scène va me permettre d’embrayer sur un des gros points forts du film : sa musique. Et j’accorde beaucoup d’importance à la musique d’un film et celle-là m’a convaincu. Le morceau de cette scène s’intitule Vissi d’Arte et mène notre personnage à la rédemption. C’est une scène en plan-séquence, au ralenti et la caméra se déplace de gauche à droite : le personnage décide d’avancer dans la vie (mais bon, il s’arrête pour une dernière piqûre quand même). Un morceau lyrique, mélancolique et en même temps apaisant pour son dernier jour avant des années d’emprisonnement. On nous parle d’une personne qui n’a jamais rien fait de mal dans sa vie, un exemple et pourtant :
« Pourquoi, pourquoi, Seigneur,
Ah, pourquoi m'en récompenses-tu ainsi ? »
Ca peut nous faire penser au Cherry du début, qui va s’engager pour protéger son pays et qui va pourtant finir drogué et en prison.
Enfin, je vais finir par la fin (incroyable encore), parce que je trouve les dernières minutes extrêmement efficaces. Et même si je trouve dommage le fait de résumer ses années de prison en moins de 10 minutes, la musique rattrape tout. Elle est magnifique, poignante, déchirante,...Bref, c’est une musique tire-larmes, mais elle est parfaite. Alors, à l’image : on retrouve d’abord un travelling avançant, à l’instar de la scène précédente. Normal il est en train de ressentir les conséquences de sa piqûre, il n’a pas évolué. Suivi d’un travelling latéral, vers la gauche, où on le voit, découvrir les lieux, triste, forcément, seul et refermé sur lui-même. C’est pour cela que la caméra se déplace à gauche, il n’avance pas, il empire son cas, toujours enfermé, derrière les barreaux. Mais ce travelling se termine à l’extérieur. Toujours seul (la courte zone de netteté symbolise ici sa solitude), mais il a l’air pensif, retire ses écouteurs et décide à ce moment précis de changer, de guérir et d’avancer. La caméra va, donc, se déplacer vers la droite. Il ne va plus rester dans sa cellule, va sociabiliser grâce à des réunions, il ne sera plus seul dans le champ, va se mettre à rire, à parler et même diriger ces mêmes réunions et conseiller les nouveaux. Il va finalement être libéré pour conduite exemplaire et cela signe la fin du travelling. Il a réussi. Il sort de prison en homme nouveau. Le tout est au ralenti, pour appuyer sur le côté dramatique de la séquence et appuyer sur son importance. Et la musique réussit parfaitement à retranscrire les émotions de cette séquence. Déjà, elle s’intitule The Comedown, qui peut faire référence à la drogue, particulièrement, aux séquelles de son utilisation. La musique débute par des accords de piano réguliers et répétitifs, alternant, parfois entre le majeur et le mineur. Mieux que ça, elle traduit déjà cet ascension du personnage en passant par des phases : des graves aux aigües. Et inversement, pour traduire ses rechutes. On remarque l’apparition de basses, des sons calmes qui viennent agrémenter le morceau, ainsi qu’un son qui peut faire penser à un choeur. Un son très aigu, presque onirique. Puis, Cherry enlève ses écouteurs, la musique s’arrête. La musique va donc évoluer avec le personnage. En effet, le piano reprend, mais il est accompagné de cordes aux notes détachées et répétitives elles aussi, qui vont donner plus de rythme et d’intensité au morceau. On va également retrouver ces basses, accompagnées par de nouvelles notes de piano, plus rapides et plus aigües. Là aussi, on peut retrouver cet aspect onirique. A cela va s’ajouter un violon ainsi que cette sorte de choeur instrumentale à la fin. Et tous ces instruments vont jouer un très beau crescendo montrant l’élévation du personnage, un changement d’état. La fin du morceau, étant plus dans les aigus, lui livre un message d’espoir et un avenir plus heureux...
Bref, Cherry des frères Russo est un très bon film, touchant, voire bouleversant par moments. C’est très personnel comme ressenti, mais le film a fonctionné avec moi. Et c’est notamment grâce à des idées de mises en scènes bienvenues, grâce à des acteurs comme Tom Holland (et j'espère me tromper une nouvelle fois pour Uncharted) et Ciara Bravo qui ont tout donné et grâce à une musique, en particulier, que j’ai trouvée sublime. Et je le reverrai avec plaisir...
'Sometimes I feel like I've already seen everything that's going to happen. And it's a nightmare.'