Infatigable, Steven Spielberg suit le fil de cette carrière exemplaire qu'il s'est forgée. Présent pour une projection publique inédite à la cinémathèque française, ce monstre sacré du 7ème art s'est prêté aux questions de Costa Gavras et Serge Toubiana, livrant les secrets de son cinéma, plein d'humilité et de modestie. Une masterclass qui fait écho au film découvert juste avant, tant celui-ci résonne déjà comme une leçon de cinéma en soi. Un concentré de toute l'essence des films de cet Hollywood inspiré par Spielberg dans les années 70. Une pièce maitresse dans la filmographie de ce grand Monsieur.

Albert est un jeune garçon encore perdu dans l'innocence d'une vie d'adolescent fermier. Joey, un cheval. Jeune poulain duquel Albert assiste à la naissance et s'éprend d'un amour inconsidéré pour l'animal. Un amour réciproque, qui fera naitre une amitié inestimable. Lorsque sonne les tambours de la Grande Guerre, les deux amis se retrouvent séparés, contraints à vivre des destins croisés, dans l'espoir de retrouver l'autre un jour. Une histoire qui regorge de bons sentiments, presque naïve sur le papier. Mais Steven Spielberg y croit dur comme fer (à cheval...). À la sortie, nous aussi.

Les thèmes chers au metteur en scène se dégagent déjà dans ces quelques lignes : l'enfance, la guerre, le sens du devoir, l'amitié, la famille, la relation homme/animal... Des thèmes récurrents, que l'on retrouve dans la majorité de sa filmographie. Ce qui transparait, ici plus que jamais, c'est cette capacité qu'à Spielberg à transcender son spectateur, à nous émerveiller, tout en gardant, film après film, les mêmes ingrédients. On remarque toujours cette même trame narrative, qui ne se perd pas dans des chronologies mélangées. Le film garde toujours cette lisibilité "propre". Il prend le temps d'étirer son chapitre introductif, de manière à mettre en place son histoire, et ses personnages en apparence ordinaires, fondamentalement humains, mais destinés à de grandes choses.

L'humain ; l'une des grandes forces de ce cinéma unique. Des personnages réels qui embrassent un chemin hors du commun. On s'identifie à ses personnages car Spielberg semble en comprendre la nature profonde. On pourrait croire à la lecture du titre que, ce cheval de guerre, Joey, est le personnage principal du film. Mais il est bien plus. Il est le regard que nous portons sur le monde. Et Spielberg ne manque pas de le souligner au détour d'un plan significatif, filmant la silhouette d'une petite fille se dessiner dans l'oeil du canasson. L'humain, dans son éveil au monde, sa sensibilité, mais aussi dans sa cruauté, se révèle et se reflète à travers ce regard. Dénonçant parfois plus d'humanité dans l'animalité. Mais aussi, que l'amour des bêtes peut réunir des hommes que la guerre tend à transformer en monstres.

Avec ce Cheval de guerre, le papa d'E.T. semble opérer un certain retour vers une innocence infantile feinte. Car derrière le récit de cette amitié se cache les affres d'une guerre dont on a oublié l'horreur. Une histoire pleine de bons sentiments donc, mais qui s'équilibre dans la dureté des faits de cette toile de fond. Une dureté abordée sous un angle différent du soldat Ryan, dont la scène du débarquement, magistrale, reste dans les mémoires. Violente, sanglante, une odeur de mort presque sensible dans la salle. Ici, la mort n'est que suggérée. Ce qui la rend tout aussi impactant. Voire même plus encore. On souffre de la perte de ces personnages empathiques, attachants, qu'il éteint avec beaucoup de pudeur.

Et lorsque la souffrance s'efface sous l'émotion submergente, on frissonne alors. Un frisson de plaisir, à voir la portée de l'amitié entre l'homme et le cheval, un cheval qui symbolise tant de choses. Un frisson presque électrique qui caresse l'échine lors de cette scène de labour, où tout espoir semble s'évanouir. Une sensation décuplée, lancée au galop, à travers le no man's land nappé de boue, dans la rage frénétique d'un cheval esseulé et apeuré, le temps d'une autre scène, plus saisissante encore.

Un spectacle absolument extraordinaire où rien n'est laissé au hasard. Le réalisateur, entouré de cette équipe fidèle qui l'accompagne depuis toujours, livre une mise en scène qui touche à la perfection. Chaque plan, chaque note, chaque lueur est maitrisé. Une photo peinte, empreinte d'une chromatie presque baroque, qui s'adapte aux différents décors traversés par la caméra, sur une musique exaltante. John Williams a retrouvé l'inspiration qui lui faisait défaut pour Tintin, et signe un score digne de son oeuvre. Quant à Spielberg, en quelques plans remarquables, il montre qu'il est encore ce grand metteur en scène, avec un sens du cadre et du mouvement inégalable.

Sous son étiquette de film transitif, produit en quelques mois seulement, entre Tintin et Lincoln, se dévoile l'âme d'un grand film. Un film hors du temps, hors des modes, qui conjugue toute la saveur du cinéma spielbergien. Une aventure au souffle épique teintée d'une chaleur mièvre, loin de la prétention affichée des blockbusters hollywoodiens, et pourtant bien plus riche.
Cinexclu
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le 24 janv. 2012

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