Chien Blanc, au-delà de sa note assez basse sur ce site, est un bon film qui tente de retranscrire l'œuvre de Gary. Bon casting, bonne reconstitution d'époque, bonne narration, bonnes intentions. Une œuvre qui part toutefois dans différentes directions qui peuvent donner une impression de sujet non maitrisé. Mais Chien Blanc, le roman, est une œuvre complexe qui part dans plusieurs directions... Romain Gary y raconte un moment de sa vie, le début de la fin de son mariage avec Jean Seberg, l'adoption de Batka, le berger allemand, et surtout, la lutte pour les droits civiques des noirs américains dont l'action peut et doit être soumise à critique. Gary fera même un rapprochement avec deux luttes puisque lors d'un retour à Paris, il tombe en plein Mai 68. Pas facile à adapter donc, et difficile de ne garder qu'un pan de l'histoire puisque tout est lié. A la lecture de ses éléments, Anaïs Barbeau-Lavalette ne s'y prend pas si mal que ça, mais a délibérément orienté son script vers une vision militante et intemporelle ; injectant dans son film des images d'archives des émeutes qui ont suivi l'annonce de l'assassinat de Martin Luther King, ainsi que du mouvement Black Lives Matter d'aujourd'hui. Elle tente de montrer que si chaque vie compte, le chemin vers l'égalité n'est pas encore une réalité. Peut-on lui reprocher cette intention ?... Elle tente aussi de tendre, à nous, les Blancs, un miroir pour une mise en abîme. Et je connais ce débat par ma vie professionnelle et militante : comment participer à une lutte quand on est pas la victime principale des droits spoliés, et que par le simple fait d'être blanc (et salarié), on est forcément privilégié ? Comme alors être un bon allié ? Ce film ne peut pas se regarder seulement avec une certaine condescendance. Et les avis que j'ai lu par ci par là, en sont souvent pétris. Il doit se regarder avec un approche morale et personnelle...


La réalisatrice apporte toutefois un plus par rapport au roman, la vision de Diego, le fils du couple Gary/Seberg. Son regard à hauteur de petit bonhomme sur cette haine palpable, même pour lui.


Mais en seconde lecture, en superposant ce film est le roman, je ne vais plus être aussi bon public. Adapter, c'est choisir, certains diront trahir. Et il y a un peu de ça dans l'adaptation filmée. Même si Denis Ménochet s'en sort très bien, difficile de faire transparaître le débat intérieur de Romain Gary. Chien Blanc est un livre qui comme son protagoniste principal, mord à pleine dents. Ce n'est pas juste un pamphlet antiraciste, c'est une analyse peu commune du conflit racial américain, et Gary n'épargne personne, surtout pas les activistes Noirs qui venaient chez lui discuter action militante avec son épouse ; surtout attirés par sa notoriété, son argent et son physique. Gary savait repérer rapidement les paradoxes humains, et dans Chien Blanc, il en démontre autant chez les Blancs que chez les Noirs. Et là Anaïs Barbeau-Lavalette se plante complétement. Là où l'œuvre de Gary est complexe et cynique, elle n'en ressort qu'une œuvre simpliste pleine de bons sentiments. Que démontre t-elle au final ? Une des scènes finales ou Batka attaque Gary (il a passé plusieurs jours à l'hôpital ensuite) ne résume rien. Hors la réalisatrice semble nous laisser ici avec le constat, appuyé par des images d'actualités récentes, que rien n'a vraiment changé. Et même si ce n'est pas totalement faux, la pensée de Gary va au-delà de ça. Dans le personnage de Keys, le dresseur Noir, il y a une haine profonde envers les Blancs, alimentée par ce qu'il vit au quotidien. C'est un homme dur, qui trouve en Chien Blanc l'occasion de mettre en œuvre une rhétorique nouvelle : retourner les armes des Blancs contre eux. D'ailleurs quand Gary se fera attaquer, il ne l'aidera pas, semblant jouir du spectacle. Et dans le même temps Gary prend conscience que ce type d'homme qui ne souhaite que vomir des siècles de rancune accumulée, ne reculera pas à rêver d'une Gestapo Juive ou d'un Ku-Klux-Klan Noir. N'oubliant pas au passage que c'est nous, les Blancs, qui avons créé cette haine. Anaïs Barbeau-Lavalette ne parvient malheureusement pas à restituer toute cette complexité, voire même elle l'a nie, ne précisant pas dans sa narration, par exemple, que les oiseaux retrouvés morts chez Gary (en fait il s'agissait de ses chats) ont été tués par des Noires. Elle tente de dresser un monde en noir et blanc, là ou Gary démontrait qu'il n'y avait surtout que du gris.


Alors ? Au final un film qui se regarde plutôt bien, mais si vous avez lu et apprécié le roman (un des meilleurs de Gary), vous serez forcément déçu.



Kerven
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le 28 mai 2024

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