C'est autour d'un banc d'une petite place de village que Miralès, théâtreux dans l'âme, déclame ses pensées : brutes, directes, instinctives. Il aime s'écouter parler et débite des inepties parcourues de quelques fulgurances, le paradoxe du beauf de campagne qui aime la littérature. La plupart du temps, il s'amuse à taquiner son acolyte Dog, sorte de faire-valoir de poche qui, à première vue, est son strict opposé. Taiseux, timide, manquant de confiance en lui, et sans réelle vision sur le monde. L'inverse d'un Miralès qui lui déborde d'opinions, de confiance, aboyant encore plus fort que son chien Malabar.
En fin de compte, dans ses deux personnages inséparables qui vont se faire une guerre d'amour tout au long du film, on a deux déclinaisons du même paumé : le futur trentenaire désabusé, engoncé dans son milieu, bon qu'à tirer des taffes sur un joint, boire du whisky, draguer des filles pas belles dans une boîte minable, et attendre son RSA en jouant à FIFA. C'est sévère, et la réalité est parfois plus douce et rassurante, mais leur quotidien manque cruellement d'espoirs et d'optimisme. Pour compenser, on passe des moments simples avec les voisins, on gratte un ticket d'Astro, on écoute un morceau de piano et on essaie d'oublier, le temps d'un instant, la fatalité de cette existence vide. C'est là tout le drame de Miralès, à l'origine de ses frustrations : il voudrait plus, plus grand, ailleurs, mais il se sait pris au piège.
C'est pour ça qu'il verra d'un mauvais oeil la petite nouvelle, rennaise de passage, étudiante en Master de Lettres, qui va ravir le cœur de son pote Dog avec ses jolies mèches blondes et son regard doux-braiseux. D'ailleurs, si on comprend évidemment pourquoi Dog tombe "dans le piège", difficile de l'imaginer elle tomber sous le charme d'un gars qui ne parle pas, baisse la tête, et passe ses journées à rien faire. En tout cas, pour Miralès, ça ne passe pas, et il va bien le faire comprendre. C'est le sujet du film. Ça, et une embrouille avec des gitans pour ajouter un peu de tension dramatique. La fibre poétique c'est ce passé sombre et cette impossibilité du futur, qui figent Miralès dans un présent qu'on voudrait autre, qu'on fantasme différent, mais qui nous ramène toujours les pieds sur terre.
Forcément, ça donne un petit film, tout simple, réaliste. Mais c'est pas une mauvaise chose. Et j'aurais tendance à dire que, par l'écriture de ses personnages et de ses dialogues, Chien de la casse est même un grand "petit film". Si le cinéma français sait faire du film social, c'est rare qu'il soit aussi bien écrit, qu'il brille autant, les derniers que j'ai en tête remontent au début des années 2010 avec Mike de Lars Blumers et le cinéma de Guillaume Brac. Pour moi, c'est un film qui fera date, qui me restera en tête et qui, peut-être dans 10 ou 15 ans, servira de repère pour capter l'essence d'une époque, d'une période, d'une jeunesse. Rien que ça. Pour un petit film tout simple, devenir un témoin générationnel, ce serait un sacré tour de force.