Kurosawa a le sens des images, dans L’Ange ivre, il utilise celle de la mare, ici il ouvre son film sur l’image d’un chien à l’œil vif et haletant. Chien qui donne son titre au film. Nous sommes avertis: un chien enragé est au cœur de cette histoire. Les dialogues nous précisent même à plusieurs reprises qui est ce chien. Il s’agit de l’homme qui a volé le colt d’un policier. Pourtant toute la mise en scène nous fait comprendre que le chien enragé n’est pas ce voleur désigné, mais plutôt le policier qui le traque.

Chien enragé joue sur un effet de miroir entre le détective Murakami et le voleur, Yusa. Tous deux sont jeunes, tous deux reviennent de la guerre, tous deux ont tout perdu à leur retour, mais l’un est devenu policier et l’autre criminel. Murakami se fait voler son arme dès le premier jour de son service. Alors que ses chefs et son entourage relativisent l’affaire. Cette arme, est ressentie par lui comme un prolongement de lui-même et il se sent responsable de son utilisation et des victimes qu’elle peut faire. Murakami et Yusa fusionnent à travers le colt. Quand un crime est perpétré, Murakami demande anxieusement : « La balle venait de mon arme ? » et Sato, son collègue répond : « non de celle de Yusa », tentant vainement de lui retirer le poids de culpabilité qui pèse sur lui. Yusa devient pour lui une obsession, quand Sato parle simplement de l’orage, Murakami croit qu’il parle de Yusa. Il ne quitte pas son esprit un seul instant. Il décompte une à une les balles tirées, rien ne l’arrache à cette pensée.

Sa quête acharnée pour retrouver son arme mène Murakami dans les bas-fonds de Tokyo. Chien enragé prend alors une forme de quasi documentaire. A travers ces déambulations et l’investigation, un portrait de Yusa se dessine. Tandis que les policiers parlent de lui comme d’un criminel, d’un « chien enragé » et le désignent par des tournures méprisantes, ceux qui le connaissent parlent de lui essentiellement comme d’un jeune homme « triste ». Cela revient à diverses reprises, en particulier lors de cette scène qui met en lumière le comportement de Yusa. Harumi, la danseuse de cabaret parle d’une robe scintillante qu’elle possède :

C’est lui qui me l’a offerte. On l’avait vue en vitrine d’un magasin. Je lui ai dit que j’aimerais la porter. Il m’a regardée, plus triste que jamais. Une semaine plus tard, il me l’apportait au club. (…) C’est pour moi qu’il a mal agi. Si j’avais eu du courage, je l’aurais volée moi-même ! On ne devrait pas mettre ça en vitrine ! Pour se l’acheter, il faudrait faire pire que voler.

Une robe qu’elle finit par porter et dans laquelle elle virevolte comme pour s’échapper de son monde de misère et rejoindre celui des gens aisés et sans soucis. Mais tandis qu’elle tourbillonne, l’orage gronde à l’extérieur, cette échappée n’est qu’une illusion inaccessible et sa mère s’empresse de la ramener sur terre.

La traque de Yusa aboutit à la confrontation des deux hommes. Murakami rencontre enfin son double « maléfique », celui qu’il aurait pu facilement devenir lui-même. Un face à face magnifiquement mis en scène dans une grande tension dramatique.

Plus qu’un film policier, Chien enragé est un film social et psychologique à l’esthétisme soigné. Un film qui appartient à la veine réaliste du réalisateur. Un film tendu et suffocant comme la chaleur qui accable tous les personnages sans exception. Une chaleur qui régnait durant le tournage du film renforçant ainsi naturellement la charge existentielle du film et l’effet d’étouffement traduit par les personnages.

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le 17 janv. 2023

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abscondita

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