L'Arme fatale
Le Japon défait après la guerre, Toshiro Mifune est une nouvelle recrue de la police qui se fait piquer son flingue lors d'un été caniculaire et se lance dans une recherche qui tourne à l'obsession...
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le 2 avr. 2012
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Cité comme l'un des chefs d'oeuvre de Kurosawa des années 50, j'ai trouvé ce film très bien dans son principe, mais son rythme hypnotique m'a bien plombé, et m'a empêché de rentrer complètement dans le récit. Chien enragé possède beaucoup de points communs avec L'ange ivre, au niveau de l'esthétique (un réalisme parfois filmé de manière onirique, surtout dans sa première partie quasi muette ; décalage entre musique douce et tension de certaines scènes), des thèmes (bas-fonds du Japon), du climat atmosphérique (chaleur et moiteur qui impliquent une certaine tension et suffocation et reflètent l'état d'esprit des protagonistes à l'époque de l'après-guerre), et enfin des personnages (le rôle principal est interprété par Toshiro Mifune, jouant quelqu'un d'assez nerveux, bien qu'un peu plus sobre que son rôle de son film précédent, étant ici un flic et non un gangster, et donc devant s'intégrer dans le cadre de la loi ; son partenaire est beaucoup plus calme, catalyseur de la violence juvénile de ce dernier).
Par contre, l'angle abordé pour parler des bas-fonds n'est pas exactement le même que dans L'ange ivre : il s'agit ici du crime, ou plus précisément de l'origine de la violence, sur un niveau à la fois métaphysique, et sociologique. De manière originale, un jeune policier qui vient de commencer dans le métier perd son arme. Une idée qui sera souvent reprise par la suite, notamment dans PTU (de Johnnie To). Or, cette enquête saugrenue va l'entraîner sur un terrain inédit : non seulement il va se planquer dans les bas-fonds pour être à l'affût de quelques indices et ainsi découvrir cette réalité d'après-guerre, mais il va se trouver plein de points communs avec sa proie. Autrement dit, il va se sentir personnellement impliqué dans les crimes commis par ce dernier, d'abord parce qu'il s'agit de sa propre arme (responsabilité personnelle), puis ensuite parce qu'ils ont subi le même parcours de base (implication sociologique) : l'armée et l'influence forcée des Etats-Unis (base-ball et les danseuses), Ce qui les distingue, c'est le chemin qu'ils ont choisi ensuite, chacun ayant emprunté une direction parallèle (une dimension métaphysique et une idée d'alter-ego déjà utilisées dans L'ange ivre -). Ce schéma d'identification va être poussé jusqu'au point qu'en fonction des descriptions d'un témoin, il va se trouver lui-même, et pratiquement toutes les personnes suspectées, dans le même lot. Ensuite, l'enquête policière progresse de manière assez classique, d'indices en détails techniques, mais vous l'avez compris, l'intérêt est ailleurs.
Autre point intéressant, le titre, puisque "l'errant" en question est comparé à un "chien enragé". Autrement dit, l'arme volée peut être comparée à l'allumette qui déclenche un feu dément déjà présent dans l'individu en situation de misère. Ainsi, non seulement le metteur en scène semble pointer la violence du doigt, véritable impasse pour s'intégrer dans la société, mais aussi la prolifération des armes, qui apportent une dimension plus ample au crime, accompli par ces "errants" de la société japonaise, perdus dans cet après-guerre témoignant d'une perte d'identité à plusieurs niveaux (national, social, culturel, économique, ...).
Il y aurait aussi beaucoup à dire au sujet de la réalisation. En premier lieu, l'immersion dans les bas-fonds des quartiers japonais, qui est une véritable expérience visuelle (j'adore le gros-plan sur les yeux du jeune policier, dont le point de vue est exprimé par la surimpression de ses yeux sur les images de la réalité), muette, et sociologique. Ensuite, les courses-poursuites sont réellement haletantes, surtout la première, avec le jeune policier qui ne lâche son suspect d'une semelle en oubliant toute discrétion, et exprimant ainsi sa volonté démesurée de retrouver son arme à feu. Enfin, Kurosawa gère bien les éléments naturels, en alternant scènes de moiteur et orages (dont l'esthétique expressionniste deviendra une marque de fabrique bien connue).
Bref, voilà un sujet fort bien traité (l'origine de la violence, rattrapée par un policier se retrouvant en plein processus d'identification avec le criminel qui lui a volé son arme), que j'ai trouvé plombé par un rythme lancinant. Très complémentaire avec L'ange ivre, Chien enragé est à voir absolument pour approfondir les thèmes d'après-guerre, usine à produire des "errants" souvent dangereux pour la société des hommes.
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Créée
le 26 avr. 2017
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