L'Arme fatale
Le Japon défait après la guerre, Toshiro Mifune est une nouvelle recrue de la police qui se fait piquer son flingue lors d'un été caniculaire et se lance dans une recherche qui tourne à l'obsession...
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le 2 avr. 2012
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[ Attention, cette « critique » dévoile des éléments de l’intrigue ]
Le générique du début donne le ton. Un chien abattu halète, la gueule ouverte et les yeux écarquillés. On devine qu’il a la rage.
L’histoire se met ensuite rapidement en place. Une voix off nous explique que l’inspecteur Murakami, qui vient à peine d’entrer dans la police, a perdu son Colt en revenant d’un entrainement au tir. Tourmenté par le poids de la culpabilité, Murakami va tout faire pour le récupérer.
Sous un soleil harassant, c’est donc un Murakami survolté qui va entamer une course folle dans l’intention de se racheter. Se grimant en SDF pour se fondre dans la masse, il va retourner tous les bas-fonds de Tokyo, quitte à effrayer ses concitoyens.
Cette obsession le consume peu à peu. Chaque fait-divers alourdit le poids qui pèse sur ses épaules. Suis-je le responsable de ce vol ? Est-ce mon arme qui a permis de commettre ce crime ?
C’est avec une grande maîtrise que Kurosawa parvient à illustrer les tourments intérieurs du personnage. Je retiens surtout les habiles juxtapositions de plusieurs plans par le biais d’un jeu de transparence. Nous sommes à la fois plongés dans ses différentes déambulations et happés par son regard inquisiteur qui laisse transparaitre un début de folie.
Lorsque Murakami apprend que son arme est effectivement utilisée par le malfrat qui lui a subtilisé, c’est d’un pas décidé qu’il adresse sa lettre de démission au chef de la brigade.
"La malchance écrase ou forme. Réfléchis et tu verras ce que tu peux trouver"
Ce dernier refuse et lui affecte un coéquipier pour résoudre cette affaire, le commissaire Sato. Un vieux de la vielle qui va guider et mentorer l’inspecteur inexpérimenté. Le film prend alors une nouvelle tournure, passant du thriller psychologique à une enquête policière plus conventionnelle, mais tout aussi captivante. Le nombre de balles restantes dans le pistolet marque l'urgence.
Sato reprend la main et donne le rythme de l’enquête. L’expression corporelle de Murakami s’assagit, mais sa lutte intérieure s’intensifie. De nombreux plans iconiques le montrent en retrait face au commissaire qui agit avec assurance, usant de toute son expérience.
L’investigation avance doucement. Les déambulations frénétiques du début laissent place à un quadrillage ordonné de la ville. Un match de baseball de 50 000 spectateurs, des hôtels de passages, un cabaret... Murakami, plus en retrait, semble devenir un observateur attentif de sa propre enquête.
Lorsque Sato lâche du lest pour lui laisser plus d’espace, Murakami est quasiment paralysé par son fardeau. À l’image de la mise en scène très efficace d’un interrogatoire durant lequel l’inspecteur fait dos à son interlocuteur, le regard fuyant. Cette scène marquante est appuyée par la météo qui rentre en diapason avec l’ambiance électrique de la pièce.
"Passé la torpeur, il ne reste au chien enragé qu'une ligne droite"
L’étau se resserre. La dernière course poursuite du malfrat est magistrale. Passant d’une rue déserte à une forêt dense, les corps se confondent et avancent avec de plus en plus de difficultés. Les branches, la boue et les buissons constituent autant d’obstacles naturels sur leur chemin. L’inexorable passage de menotte intervient. La chaleur et la fatigue ont raison de leur témérité et les masses humanoïdes tombent côte à côte. Le cri du désespoir retentit et la pression redescend. Les deux hommes s’apaisent.
Cette fin n’est pas sans rappeler celle du premier film de Kurosawa, La Légende du grand judo.
Si l’investigation policière constitue une toile de fond bien construite, la force du film réside en sa capacité à dépeindre le Japon démobilisé.
Au fil de l’enquête, le portrait du malfrat anonyme se dessine. Il a un nom, Yusa. Il a surtout un passé douloureux. Marqué par la guerre et la démobilisation, il peine à re-rentrer dans le moule de la société. Dès son retour, il se rend compte que toutes ses affaires ont été volées, que sa vie a été volée. Il se trouve pitoyable, vivant littéralement comme un parasite aux crochets de ses parents dans une cabane de fortune accolée à la maison familiale. Il accuse la société et la guerre. Il traine avec des Yakuza.
Un destin lourd qui n’est pas si exceptionnel. L’inspecteur Murakami a lui-même vécu ce retour douloureux et cette dépossession matérielle. Il se remémore cette phase de désespoir dans lequel il a lui aussi plongé. Il prend conscience que l’écart de vie qui les sépare est plus tenu qu’il ne l’aurait pensé.
Personne n'est foncièrement mauvais. Ce sont les circonstances qui sont graves.
Kurosawa revient également sur l’incompréhension des anciens qui peinent concevoir les états d’âme des jeunes démobilisés. Durant un dialogue assez profond entre les deux policiers, Ozo a du mal à trouver le terme « Après-Guerre ». S’il reconnait que la guerre a généré deux types de personnes, il balaie rapidement le sujet d’un revers de la main, mettant les considérations de Murakami sur le compte de son inexpérience.
Cette première arrestation va marquer Murakami à tout jamais. Elle grave son début de carrière. Elle le conforte dans son choix de vie.
Avec Nora inu, Kurosawa parvient encore une fois à délivrer une intrigue forte et engagée qui illustre intelligemment une tranche de l’Histoire nippone. Si le film ne m’a pas autant embarqué que les précédents, j’ai tout de même pris beaucoup de plaisir à le voir.
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Créée
le 7 mai 2016
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