Dans les régions montagneuses du Vietnam, la brume envahit les plaines vertes et le village des Hmong pour nous offrir de magnifiques paysages. En filmant Di et ses amies, Hà Lệ Diễm dresse le portrait de cette jeunesse à la naïveté enfantine qui navigue entre des coutumes castratrices, l’accès aux technologies modernes et l’enseignement moral inculqué par l’école. Les jeunes filles parlent de sexualité sans tabou, chattent avec des garçons sur leurs téléphones portables et, pour s’amuser, mettent en scène un mariage dont l’épouse a été enlevée par son mari. Peu à peu, cette mystérieuse tradition se dévoile et envahit toutes les conversations : pendant le Nouvel An lunaire, les garçons ont le droit d’enlever les filles pour les forcer à se marier, au détriment du consentement de la concernée et de sa famille.
Cette terrible tradition est à la fois source de crainte et d’excitation : bien qu’elles ne veulent pas se marier, les jeunes filles ont le sourire aux lèvres quand elles en parlent. Pour autant, à moins de se confiner dans leurs chambres, elles sont obligées de vivre avec ce danger. La protagoniste de Children of the Mist prend des risques : le soir du Nouvel An lunaire, la réalisatrice suit Di marcher dans la rue avec un jeune garçon nommé Thang. Ce dernier lui demande de les laisser tranquille sous prétexte qu'il ne va pas l’enlever. Malgré une hésitation, Hà Lệ Diễm laisse son amie partir au loin, sachant pertinemment ce qui allait arriver. Ce plan, l'un des plus terribles du film, questionne la place de la cinéaste dans son film : devait-elle interférer, changer le cours des événements ?
La suite du récit réitère ce dilemme moral : la jeune femme est tirée de force par sa « belle-famille » au mépris ouvert de son consentement. L’intervention paraît évidente, mais au fond, quelle est la solution ? Tirer cette jeune femme de son milieu, sa famille, ses amis, ses études ? Cette non-intervention n’est pas une trahison, c’est un aveu d’impuissance face à un problème systémique. En pleine nuit, Di demande à la réalisatrice si elle la déteste, ce à quoi elle répond positivement sous prétexte que Di ne prend pas la situation au sérieux. La rage de la cinéaste face à sa propre impuissance se transforme en un jugement injuste et cruel.
Certaines images marquent au fer rouge, comme le sourire de la mère de Di lorsque la famille de Thang lui rend visite alors qu’elle était paniquée la veille. Personnage au discours changeant, elle illustre parfaitement la perversité de ce système : elle-même kidnappée puis mariée, elle reproduit le même schéma sur sa fille et ne lui offre aucun réconfort, la faisant même culpabiliser sur son comportement. Le père de Di ne prend pas la situation au sérieux et va même jusqu’à annoncer fièrement à la caméra qu’il a kidnappé sa femme. De son côté, Thang a l’air tout à fait sympathique, mais on le déteste pour ce qu’il fait subir à Di. Quel que soit le pays, la situation change mais les mécanismes de domination restent les mêmes. Children of the Mist est un film terrible qui n’offre aucune solution, seulement un regard sensible sur une région du monde dont la soumission des habitants à leurs coutumes et à leurs drames personnels doit nous questionner sur nos propres aliénations.
Site d'origine : Ciné-vrai