Assis sur son cheval, immobile sur les hauteurs de la plaine environnant sa propriété et la petite bourgade située à proximité, un John Wayne vieillissant scrute l’horizon, semble se remémorer les étapes par lesquelles il aura fallu passer pour conquérir cette terre à soi : la dérober à autrui, la défendre, y vivre enfin. S’implante là une lignée dont le patriarche constitue le dernier bastion, le détenteur d’un savoir-faire et surtout d’un savoir-vivre qui se doit de cohabiter avec l’altérité, c’est-à-dire la société qu’il a contribué à faire naître et qui s’affranchit peu à peu de son autorité à mesure qu’un banquier plus jeune – forcément véreux – privatise les lieux, rachète l’espace puis le redécoupe à sa guise, selon des perspectives économiques. La loi du chiffre contre celle du pionnier.
L’ouverture du long-métrage, collection de vignettes empruntées à plusieurs peintures représentant les exploits desdits pionniers, inscrit d’emblée le personnage interprété par Wayne du côté de la tradition, pire de la fixité qui ne trouve que dans la coupe et le heurt – fracas des scènes que seul le montage permet de rétablir – ce qu’il lui faut pour se ranimer un temps, retrouver et prouver sa vigueur. Il passe du hamac confortable installé entre deux poutres à la scelle d’un cheval lancé à toute allure : la lutte le plonge une nouvelle fois parmi des troupeaux en furie qu’il faut dompter. Voilà pourquoi la rixe qui le sépare des nouveaux venus lui offre, au-delà des difficultés essuyées, l’occasion d’une démonstration de force, une sorte de viagra idéologique qui ravive les braises de la fougue que l’on croyait passée.
En dépit de son rythme assez lâche et mollasson qui enferme la première heure dans cette impression d’enchaînement automatique de scènes, Chisum offre de très beaux plans épiques où les cowboys produisent dans la poussière remuée par leurs bêtes ce qu’il faut de virtuose pour cristalliser leur grandeur mythique. L’affrontement final vaut son pesant d’or, contrebalance des tirades parfois trop longues et mal rythmées qui ont au moins le bénéfice de creuser la profondeur des personnages.