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Pour son premier long métrage, Claire Denis choisit de raconter son enfance au Cameroun, où elle suivait son père, fonctionnaire en poste en pleine brousse, à Mindif.


La scène d'ouverture a son importance car on comprend que ce qu'on va voir n'est pas la réalité mais le souvenir qu'en a France : c'est la vision du père noir avec son fils, lui donnant les noms dans la langue vernaculaire de différentes parties du corps, qui réveille le souvenir de cette enfance. On verra en effet la même scène entre France et Protée, le boy de la famille - mais pas tout de suite, première subtilité bienvenue du film.


Puisqu'il s'agit d'une histoire vraie, il n'y aura guère d'intrigue comme sait si bien en fabriquer le cinéma, art de l'illusion. Un avion forcé d'atterrir à proximité. Une attirance réciproque entre Aimée et Protée, bien trop taboue pour se concrétiser. Et c'est à peu près tout !


La gageure consistait à raconter cette histoire sans que le spectateur s'ennuie. Pari gagné, par les moyens du cinéma : la composition des plans, l'éclairage, le montage.


Quelques exemples sur le montage : un vieux sage comme on imagine tout chef de tribu déclare que le lion ne doit pas être chassé comme le font les Occidentaux. Gros plan sur l'orbite creusée de son oeil, puis raccord sur une lune au sein d'un ciel très noir. Ainsi passe l'idée que le vieux vient d'énoncer une loi naturelle, qui régit la vie ici. Plus tard, on voit Mireille embrasser Luc, filmés depuis les roues de l'avion. On ne comprend l'intérêt de ce plan très étrange, très "cinéma d'auteur", que lorsque lui succède celui de France et Protée sous les roues d'un camion. Deux relations un peu clandestines mises en parallèle. Troisième exemple : lorsque Luc invite Aimée à venir "se frotter contre Protée", celle-ci reste interdite sur le pas de la porte et Claire Denis utilise un grand angle pour que le plan suivant, en caméra subjective, nous donne une impression de distance infinie entre elle et le monde des Noirs. Elle en ressentira une souffrance exprimée par sa station recroquevillée, par terre, les genoux dans les bras. Protée passe, elle ose lui effleurer le mollet, mais lui ne supporte pas de voir "le Blanc" à terre à ses pieds : il la relève vigoureusement. Le tabou ne sera pas franchi, c'est aussi le fait du dominé. (On retrouve cette idée dans Fanny et Alexandre de Bergman : à deux reprises ce sont les servantes elles-mêmes qui refusent d'être traitées en égal par les maîtres - on n'y verra pas pour autant une influence.)


Luc, lui, franc-tireur, va vouloir briser ces tabous : il prend sa douche à l'endroit des boys, dine avec eux. Un Jésus, ce séminariste ? Non, un simple provocateur car il peut aussi insulter Protée sans vergogne. D'autres personnages sont ainsi hauts en couleurs : le planteur de café impatient, qui pense pouvoir tout acheter mais se heurte à la dignité d'un chef africain ; le cuisinier qui ne parle qu'anglais et n'entend pas se laisser marcher sur les pieds ; et puis Aimée (Giulia Boschi, très belle mais dont les répliques ne sonnent pas toujours juste), qui pique des colères et prend des positions autoritaires un peu ridicules.


Ces gens vivent comme des colons, avec des Noirs à leur service, mais ils ne sont ni racistes ni arrogants : ils donnent des ordres mais en disant "s'il-te-plaît" et ils font confiance à la médecine locale. Protée, quant à lui, qu'incarne le très plastique Isaac de Bankolé (longtemps l'un des seuls Noirs du cinéma français), cristallise tout ce qu'incarne le Noir : la sensualité magnétique pour Aimée, l'homme à tout faire pour Marc, le magicien détenteur de secrets pour France. Tout cela derrière le masque impassible du servant. Il agira comme une bête blessée lorsque Aimée l'aura évincé, en laissant sa fille se brûler sur un tuyau bouillant. On retrouvera cette paume chez France adulte lorsque son chauffeur voudra lui lire les lignes de la main.


Les images sont souvent très belles, comme on l'a dit : un âne devant les montagnes ; Aimée et France sous la moustiquaire de leur lit éclairé par une lampe à pétrole ; un baobab en contre plongée; France en contre plongée juchée sur un rocher (à deux reprises) ; Protée attendant devant la table du dîner avec un store derrière lui... c'est cette qualité d'image qui donne toute sa force à la narration intime que nous propose Claire Denis. Peut-être formulera-t-on un regret : celui que tous ces beaux plans ne durent pas un peu plus, pour qu'ils imprègnent davantage l'esprit du spectateur... Mais une chose est certaine : dès son premier opus, une cinéaste était bien là.


Elle confirmera à de nombreuses reprises. Notamment, en terres désertiques également, avec le splendide - et programmatique - Beau travail.


7,5

Jduvi
7
Écrit par

Créée

le 24 avr. 2020

Critique lue 1.7K fois

14 j'aime

Jduvi

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