Retraçant la vie des clowns Footit et Chocolat, le film de Roschdy Zem nous fait rentrer dans la psyché des deux hommes au delà de leur duo comique formé sur scène. Omar Sy, ayant connu la célébrité grâce à un tandem formé avec Fred Testot, ne peut que comprendre tout à fait les hauts et les bas d'artistes qui partagent une gloire à deux. De plus, l'enjeu dramatique de Chocolat est en résonance avec cette société encore trés raciste du début du vingtième siècle qui voulait qu'un homme noir reste à sa place et soit considéré comme un bon sauvage. Il y a donc des scènes chocs, des échanges bien sentis qui prouvent que la société française était encore bien muselée par le réflexe colonial et que Rafaël Padilla dérangeait car il incarnait le succès d'un homme noir. Footit, trés bien cerné par James Thiérée, car issu lui-même d'une formation de clown et dépositaire de la tradition comique de la famille Chaplin, incarne l'artiste qui a compris mieux son époque avant elle et voulut protéger Rafaël/Chocolat contre sa volonté de déborder du cadre d'"acceptation". C'est ce qui lui coûta ses querelles avec son partenaire et les déboires à venir. Cette relation amour/haine est trés bien rendue par les deux acteurs et apparaît comme un baromètre des destins de leurs personnages.
Ayant décidé de ne pas prendre trop de points de vue, Roschdy Zem a donc choisi aussi de ne pas trop décrire Footit. J'en suis venu à me demander si les rares éléments biographiques de l'initiateur du duo prouvèrent au réalisateur que le clown n' avait pas véritablement eu de vie privée tant il paraît trop investi par son art. Par contre,Roschdy Zem montre véritablement bien que les postures des hommes du duo comique sont en phase avec ce qu'ils sont dans la vie et que Footit et Chocolat partageaient un numéro circonstancié où leurs humeurs d'hommes ressortaient pour éviter la composition. Bien rôdés leurs numéros deviennent aussi improvisés quand Rafaël tourne en ridicule la posture d'homme blanc botteur de cul (une scène puissante qui éraille ce jeu de rôles finalement répétitif et malsain).
Avec un statut de film d'époque reconstitué, ce biopic habile et habité jauge délicieusement la vérité française peu flatteuse de début de vingtième siècle. Les premiers balbutiements de la consommation de masse via la publicité montrent aussi une société entravée dans ses moeurs et qui tombe trop facilement dans le travers du dénigrement. Croiser cet état des lieux avec notre société actuelle de début du vingt et unième siècle est intéressant car le chemin parcouru est bien là avec d'autres dérives.C'est un film qui tombe aussi à pic avec le débat sur la représentation des artistes de couleur au cinéma et dans les cérémonies de récompenses. Notre société s'affichant ouverte et tolérante a pourtant encore bien des progrès à effectuer et l'image d'archive de Footit et Chocolat au générique, filmés par les frères Lumière,dansant sur un pied d'égalité apparaît comme à la fois comme un rêve inabouti et un mirage persistant.

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le 17 févr. 2016

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