Dans leur domaine, Stephen King et John Carpenter s'équivalent. Tous deux maîtres de l'horreur, mais dans leur univers, ils sont deux grandes figures à la renommée internationale, deux emblèmes d'un genre qu'ils ont su défendre, valoriser et bonifier tout au long de leur carrière. Christine n'est peut-être pas une oeuvre majeure dans l'image qu'ils véhiculent respectivement, mais elle rechigne probablement le concept horrifique le plus excitant et le plus nonchalant qui soit dans ce genre. Une idée des plus originales, un thème des plus intemporels que celui de l'automobile surnaturelle et malveillante, qui prend peu à peu le contrôle psychologique de son propriétaire. Rien que pour cela, Christine, livre comme film, vaut indéniablement le coup d’œil, d'autant que les deux formats sont sortis en même temps.
John Carpenter se voit donc confier l'oeuvre sortie tout droit de l'imaginaire de Stephen King, l'association des deux artistes se fait donc en toute logique, sans pour autant faire preuve à l'avance de certitude ou d'assurance surestimée du réalisateur. Carpenter croit indéniablement en son film et y délivre une conviction extraordinaire. Christine libère dès les premières minutes sa nonchalance assumée avec la construction de l'automobile, rouge parmi les blanches, déjà démoniaque, puis une troublante mélancolie à travers son personnage principal, complexé et mal dans sa peau, accompagné par son meilleur ami, parfait opposé. Le savoir-faire du maître de l'horreur se ressent d'emblée, qui prend bien le temps de mettre en place son contexte, tout d'abord réaliste.
Le réalisateur maintient au chaud son spectateur pour ensuite lui faire subir un remaniement d'ambiance saisissant. L'arrivée de la sublime Plymouth Fury de 1958 bouleverse d'emblée tous les codes gentiment établis auparavant dans le film pour libérer une rage intérieure remarquablement perverse. La venue de cette voiture dans la vie de cet adolescent lui est un étonnant bon en avant, vers les vices d'une adolescence dépravée et pervertie, que Carpenter arpente ici avec ferveur et virtuosité. Rien n'est laissé au hasard, malgré la simplicité du concept principal et le réalisateur met en image une descente aux enfers lente, douloureuse et progressive. Les différentes psychologies mises en avant au début du film, assez caricaturales quoique vues comme archétypes, prennent en complexité et s'assombrissent à mesure que le temps passe.
Pourtant, tout semble encore et toujours accentué dans l'horreur avec Carpenter. L'épouvante qui ressort des séquences horrifiques prouve tout le talent. Il y règne une ambiance nullement partagée ailleurs, une noirceur visuelle et allégorique du démon aux quatre roues, accentuée par une bande sonore sophistiquée et alternative signée "on sait qui", il n'y a pas à dire, cela relève du virtuose ! Le spectateur assiste à une succession d'instants magiques et démoniaques, encore intacts à l'époque actuelle. La première poursuite meurtrière en pleine nuit, l'autoguérison de Christine, ou encore cette fin si longue... Christine plait, influe et tourmente, tout ce que fait le film, tout ce que le spectateur ressent.
Christine doit être l'un des films les plus ambitieux et les plus aboutis de John Carpenter. L'accès tardif d'un adolescent à la puberté, l'émancipation et l'affranchissement d'une personne en marge, la saisie de cette unique opportunité de se rebeller contre l'incompréhension du monde. L'ascension jouissive, perverse et incontrôlable d'Arnie Cunningham... John Carpenter adapte Stephen King et livre un chef d'oeuvre du cinéma fantastique et horrifique. Une perle authentique et surprenante, unique et intemporelle, qui par son concept simpliste, parvient à délivrer un propos d'une puissance inouïe. Christine, c'est Stephen King, c'est John Carpenter, c'est aussi la voiture la plus terrifiante du vingtième siècle, une Playmouth démoniaque ne renfermant que pessimisme et sinistrose.