La mémoire de l’amer… et sa perte
Il existe deux types de narration. La première, la plus classique, est non-linéaire, le récit est libre et prend la forme d’aller-retour(s), d’ellipses parfois audacieuses, de raccords surprenants, bref la grande majorité des oeuvres que nous pouvons voir/lire.
Ici, à l’inverse la narration se déroule linéairement, d’un point de départ précis à une fin attendue ; ici une retranscription précise et chronologique de l’évolution de la relation mère/fils à partir du décès du père. De là, démarre une dégénérescence de la mémoire de la mère suite au choc de l’événement, et en même temps une description du caractère autoritaire d’un père de famille écrivain, réputé, de fait, le double de Yasushi Inoué qui se nomme ici Kôsaku Igami.
Cette oeuvre auto-biographique du célèbre Inoué prend la forme d’une auto-critique et offre une véritable réflexion autour de la perception des évènements à l’origine d’une discorde entre les membres d’une famille.
L’alzheimer est évoqué une fois et fausse la possibilité de confrontation de points de vue : une fois que Kôsaku recueille sa mère, celle-ci ne le reconnaît plus et y voit son frère partit aux Etats-Unis. Les dialogues détournés s’ensuivent et le reproche de l’abandon de son fils insoluble, la mémoire n’étant plus présente autour de l’accusation. Le film témoignera d’un enchaînement de quiproquo douloureux, mais livrera aussi parfois des moments heureux touchants, et les tentatives de Kôsaku pour se réconcilier mettra en évidence son propre changement (le récit se déroulant sur 13 années) et sa difficulté à être confronté en même temps à ses filles dont il souhaitait maîtriser les destinées.
L’amer et le rejet se transformera en résignation et la vie de la famille gravitera autour de ce respect, le thème de l’entente familiale et de l’acceptation du devenir de ses membres s’étendra à ces derniers.
« Chronicle of my mother » est une peinture douce et amère du lien familial et de la difficulté d’intégrer la dégénérescence d’un grand-parent. Toutefois nous pouvons aussi reprocher à cette oeuvre une linéarité qui le conduit à rester trop tire-larmes malgré quelques éléments imprévisibles.
Par contre l’universalité du thème rend le film presque commun, loin d’un cinéma japonais excessif, la peinture ici se veut réaliste, sans distorsion, ni exagération, naturaliste et intimiste, la caméra se pose sur les lieux de vie de cette famille bourgeoise et d’un point de vue photographique, l’oeuvre est magnifique.
En plus de la beauté de l’oeuvre, je dois aussi souligner la qualité du jeu de Kôji Yakusho, acteur qui jouait dans Eureka, que je reconnus tardivement. Le temps est aussi passé par là…