Présenté comme une « expérience de cinéma vérité », Chronique d’un été associe le documentariste Jean Rouch au sociologue Edgar Morin pour un projet d’apparence élémentaire : capturer, dans les rues, la réalité des individus, en leur demandant s’ils sont heureux.


Un an avant Le Joli Mai de Chris Marker, les similitudes sont nombreuses : une galerie de portraits pris sur le vif, une matière qui se construit suivant le bon vouloir des témoins, qui décident ou non de se livrer et de développer leur vision de l’existence. En résulte de prime abord la photographie très pertinente d’une époque, préoccupée par la possession dans les 30 glorieuses à leur apogée, regardant d’un œil critique l’engagement révolutionnaire des ainés qui n’a pas abouti, évoquant la guerre d’Algérie ou les aliénantes conditions de travail à la chaîne. Chaque séquence laisse au témoin le temps de développer, et ajoute à l’édifice une facette de cette France multiculturelle et sociale, favorisant les échanges entre un Africain venu tenter sa chance en France, dérivant vers la thérapie pour une Italienne certes libérée mais sacrément perdue, ou ravivant les souvenirs de la déportation pour une survivante qui offre un monologue sur ses traumatismes.


La parole est libre (la sexualité de l’une, « l’acceptation de se faire enculer » pour un étudiant, le débat sur le fait de coucher ou non avec des Noirs…) et le format spontané, dans un déséquilibre qui semble improviser et propose de ce fait des séquences moins mémorables que d’autres.
Mais à la différence du film de Marker, le projet l’emporte sur le contenu, la réflexion s’impose sur l’esthétique finale. Les auteurs exposent leur idée au départ, font un point d’étape et, surtout, projettent le film aux protagonistes dont ils captent, en guise d’épilogue, les réactions pour deviser sur cet idéal d’un cinéma vérité.


C’est dans cet échange que surgissent les véritables fulgurances. Au-delà de la théorie sur cette quête de la vérité, elle-même passionnante, c’est de voir se transformer les personnages en spectateurs qui interpelle. Ceux-ci s’interrogent sur le voyeurisme, sur le désir de connaitre ou non ce avec qui ils ont fait connaissance, sur ce qui a pu sonner faux ou vrai. Film qualifié d’ennuyeux ou d’impudique, le résultat ne fait pas l’unanimité, et reste justement à l’état d’expérience. La conclusion des deux concepteurs amène d’avantage de questions qu’elle n’aboutit à des résultats, s’interrogeant sur les impasses de l’incarnation à l’écran, les témoins étant jugés soit comédiens s’ils semblent faux, soit exhibitionnistes s’ils paraissent trop vrais. Le cinéma-vérité, admettent-ils ne peut réellement exister sans la forme. L’accès à la vérité n’a rien d’un rapport brut à la parole et aux faits, dans la mesure où l’objectivité n’est pas de mise à partir du moment où une caméra enregistre : elle ne présente pas, mais re-présente. Une vérité avec laquelle les documentaristes devront composer, avec différents degrés de révolte, de résignation ou de jeu.

Sergent_Pepper
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le 2 oct. 2020

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