Chez Emmanuel Mouret, on pense avoir trouvé le rempart contre les blessures sentimentales : on verbalise. Déjà dans son splendide film précédent, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, on opposait cette faculté très française à conceptualiser, mettre à distance, aux actes qui nous révèlent, nous trahissent et nous abîment.
Sa nouvelle chronique poursuit cette exploration sur une tonalité en apparence plus légère, resserrée sur un couple illégitime mettant aux prises un mari un peu figé et une maîtresse solaire, l’occasion de réunir à l’écran un duo à l’évidence charismatique indéniable, Vincent Macaigne et Sandrine Kiberlain. Les protagonistes seront de tous les plans, au fil d’une liaison qu’on nous annonce dès le titre comme éphémère, mais à laquelle on va, comme eux, et même plus qu’eux-mêmes, croire dur comme fer.
La question de la légèreté est centrale : elle conditionne le début de la relation entre deux personnes qui décident de s’accorder du bon temps sans prendre de risques, et s’engagent, en somme, à ne pas s’engager, puisque « la passion, c’est de la propagande nihiliste ». Elle infuse donc cette parenthèse enchantée dans laquelle on se déplace en permanence, la caméra de Mouret allant chercher les indices de l’alchimie et la captation de tout ce qui magnétise un couple en phase de cristallisation. Kiberlain, en femme libre et entreprenante, convoque le caractère d’une Annie Hall, et l’influence de Woody Allen se renforce dans les discussions continues des protagonistes, persuadés d’avoir trouvé la bonne formule en calquant sur leurs élans des garde-fous dissertatifs. Mais le cinéaste parvient à plusieurs reprises à instiller un autre rythme dans ces échanges, notamment à la faveur de silences ou de mouvements d’appareils, comme des travellings allant chercher une silhouette de dos : ces non-dits, qui laissent leur place à l’expression purement cinématographique, ouvrent discrètement les abymes aux bords desquels dansent nos funambules.
Il ne s’agit pas pour autant de basculer vers la gravité : dans cette quête du plaisir et de nouvelles aventures, le couple accentue avec brio la veine comique du récit, et reste, comme il a été convenu, toujours d’une rare élégance. Cette attitude, entre raffinement, bienveillance et peur d’entraîner l’autre dans ce qu’on ressent sans pouvoir le dire, dessine une ligne de crête profondément touchante, une variation sur l’amour où la prudence permet de garder la tête hors de l’eau, tout en gardant à l’esprit qu’on a survolé les délices de l’immersion.
Il restera, comme dans cette superbe image finale d’Annie Hall, des lieux vides jadis parcourus par les amants, des regards profonds et des instants dans lesquels se réfugier (« je suis bien dans mes souvenirs avec toi », lâchera-t-elle). Et la conviction que la vie partagée pourra ressurgir, par une course folle main dans la main, en un éternel présent.