Ron Fricke, c'est un peu l'exemple typique du cinéaste dont on connaît tous l’œuvre sans connaître le bonhomme lui-même, sa réputation le précède pourtant, car il n'est rien de moins que le chef op. de plusieurs films de Godfrey Reggio, dont le célébrissime Koyaanisqatsi, il est tout naturel de s'attendre à un film très similaire ici, eh bien c'est le cas en quelque sorte, à quelques détails près.
Pour commencer, que dire de ce film? Visuellement on est bien sûr au-dessus de la moyenne, c'est ce qui frappe toujours en premier, comme lorsqu'on voit Koyaanisqatsi pour la première fois, le soin apporté au cadrage, au jeu de lumières, à la qualité de la photo, on est face à un film de 1985, mais on se dit qu'il pourrait très bien avoir été tourné en 2016, ce qui constitue la marque des grandes œuvres, elles ne sont pas altérées par le temps, il s'agit bien évidemment d'un film à voir dans de bonnes conditions, si possible avec une toile, un projecteur HD et un bon système sono, pour apprécier pleinement le spectacle.
Car oui, on est dans une expérience visuelle, mais aussi auditive, comme chez Reggio, la bande-son est un outil d'une importance capitale pour accompagner le ballet incessant des images, pour illustrer la montée en crescendo tout au long du récit, un point sur lequel nous reviendrons plus tard.
Sur le plan thématique et narratif, on peut toutefois se demander ce que ce film nous apporte de plus que la trilogie Qatsi ou Baraka, du même réalisateur. Eh bien, pas grand-chose à vrai dire, mais l'intérêt n'est pas de faire une comparaison avec des œuvres qui sont de toute manières géniales, ce film n'est pas tout à fait produit dans le même ordre d'idée, notamment du fait de sa durée, plutôt courte, de 45 minutes, ici, on est vraiment dans une logique de mouvement, d'accélération, c'est un résumé court de l'histoire des peuples, comme si on suivait une ligne qui ne s'arrête jamais, qui finit par devenir un tourbillon qui emporte tout sur son passage (en ce sens, le plan final est des plus évocateurs), le montage provoque chez le spectateur une sorte de perte d'orientation après les 25 premières minutes, lorsque nous sommes confrontés aux inclinaisons vers le bas à l'intérieur de la basilique Saint-Pierre de Rome, à la tension presque écrasante, puis la libération dans la séquence «Escalator», jusqu'aux derniers plans qui sont vraiment éthérés, à la limite de la saturation.
Pour accompagner tout cela, Michael Stearns a concocté une bande-son de folie, clairement l'une des plus belles compositions électroniques jamais réalisées, et l'une des plus belles compositions tout court. Etonnant d'ailleurs qu'elle soit si peu reconnue, car il s'agit vraiment d'une BO qui avait le potentiel pour devenir un classique parmi les classiques. La pureté et la sérénité de Essence And The Ancients est parfaitement équilibrée avec la fureur de Escalator; avant la beauté minimaliste de Portraits qui précède la splendeur gigantesque de The Ride, couplé aux images, l'ensemble de cette BO produit une expérience globale qui ressemble vraiment au partage de la vision intérieure d'une personne.
Il est inutile d'en dire plus, pour résumer, on tient là une œuvre qui se révèle être bien plus qu'un simple documentaire, c'est une véritable expérience qu'il faut vivre, on nous offre pendant 45 minutes la possibilité d'arrêter le temps et de contempler notre histoire, notre monde qui bouge, et c'est une expérience que tout le monde devrait tenter.