Le cinéma est l'art de l'artifice. Wong Kar Wai l'a mieux compris que quiconque (et pourtant quiconque n'est pas n'importe qui).
Pas d’express
Je croyais que WKW nous proposerait un road movie à partir de Chungking . Mais pas une fois il ne sera question de train et on reste en carafe au début en suivant une blonde qui fait du trafic de drogue. On pense que le genre du film est le film de gangster hongkongais avec un réalisateur qui fait de l’épate et veut démontrer son savoir-faire à coup de mouvements de caméras violents et d’images floues. Au moment où l’on accroche enfin le film oblique à 90° vers la comédie de mœurs, la romance urbaine et la description de la solitude masculine. Après ce début brouillon mais rempli de bonnes trouvailles comme le mangeur fou d’ananas périmés l’émotion finira par fonctionner à la fin grâce à une promesse entrevue de reconstruction et d’espoir.
En dépit de la bande-son. Nous écouterons 4 ou 5 fois le California Dreamin des Mama's and The Papa's, chanson sublime au demeurant, mais trop c’est trop, surtout avec LA SONO A FOND LES BALLONS. Heureusement à part ça il y a Faye Wong. Drôle, anticonformiste et déjantée, bien qu’un poil trop intrusive, elle est l'atout principal du film et la vraie vedette. Plus que la blonde à lunettes de soleil du début et bien plus que matricule 223 ou matricule 633 les deux policiers abandonnés par leur femme qui se ressemblent tellement que j'ai cru jusqu'à la fin qu'ils ne formaient qu'un seul et même personnage parlant à son savon. Illusion d'optique chez le spectateur certainement induite par le concept fumeux du « deux films en un » déjà utilisé par Bunuel ou Godard.
Pas de Chungking
Le titre vient seulement du nom d’un immeuble de Hong-Kong nommé le Chungking, ai-je appris plus tard. Chungking Express se passe pour l'essentiel dans un simple fast-food. Le policier chinois y consomme quotidiennement des boîtes d'ananas périmées ou des salades du chef avec autant de plaisir gustatif que certains Coréens habités par la vengeance qui se délectent de poulpe cru... La vie du fonctionnaire chinois célibataire est donc caractérisée par la routine absurde et la solitude citadine. Les rencontres amoureuses ne donnent jamais la suite attendue et le hasard défait les meilleurs plans pour mieux favoriser ses propres caprices.
Et voilà qu’une nouvelle fois à l'impromptu Wong Kar Wai manipule le spectateur. Car l'illusion continue ! Il suffit de voir le kebab qui tourne, les frites et les pots de sauce samouraï pour s’apercevoir que le film a été tourné la nuit en douce dans un fast-food de Bruxelles ou de Barbès. Les vrais noichs ne mangent pas de frites, tout le monde le sait. A moins que... à moins que rien ne permette plus de différencier la Chine actuelle d’un autre pays occidental? Je ne peux me résoudre à y croire...
Ainsi ce Bruxelles Express fait avec peu de moyens n’est pas du tout le film auquel on s’attend. Incompréhensible au début il s’installe ensuite progressivement. Je ne parlerai pas des mouvements de caméra, des ralentis ou de l'expérimentation graphique qui caractérisent le cinéaste débutant (en fait si je le fais) mais plutôt de sa spontanéité. Je parlerai aussi des improvisations de la narration et d'un humour toujours présent mais souvent inattendu (ou l'inverse).