Les destinées sentimentales.
Il faut parfois quelques années avant qu'une oeuvre ne vous atteigne complètement, plusieurs rendez-vous avant que votre petit coeur ne se mette à battre la chamade, avant qu'une douce histoire d'amour n'éclose entre vous. Une bonne dizaine d'années après ma découverte du "Chungking Express" de Wong Kar-Wai, je puis enfin m'écrier: "Je t'aime !". Tout ce qui m'apparaissait comme de vilains défauts lors de notre première rencontre me touche profondément aujourd'hui. Comme un imbécile en quête de perfection absolue, j'étais passé à côté de son charme fou, de son imperfection attachante. Fou que j'étais. Dieu merci, "Chungking Express" m'a pardonné et m'a offert une nuit douce et câline tout autant que fiévreuse.
Tourné en mode guerilla pendant presque trois mois avec une équipe réduite le temps que le montage des "Cendres du temps" ne prenne enfin corps, "Chungking Express" permet à Wong Kar-Wai de retrouver une liberté salvatrice, d'utiliser les limites budgétaires comme moyen de retrouver une certaine simplicité et une spontanéité presque adolescente.
Construit autour de deux histoires d'amours contrariées aussi différentes que complémentaires, chacune représentant la face opposée d'une même pièce, "Chungking Express" baigne dans un romantisme à fleur de peau, tantôt mélancolique, tantôt rafraîchissant, d'abord ténébreux puis solaire, l'un étant voué à l'échec quand l'autre annonce un commencement.
Offrant une nouvelle fois à son casting une belle occasion de briller, Wong Kar-Wai s'entoure de comédiens talentueux, qu'ils soient déjà connus du grand public ou en passe de le devenir. De Takeshi Kaneshiro, charismatique, à Tony Leung Chiu-Wai, d'une classe impérial, ils sont tous impeccables. Mais ce sont surtout les femmes qui retiennent ici l'attention. D'abord Brigitte Lin, dont c'est le dernier rôle avant longtemps, mystérieuse et insaisissable en femme fatale, puis Faye Wong, lumineuse, solaire, espiègle, touchante, véritable arc-en-ciel à elle seule. Impossible d'écouter à nouveau "California dreamin" sans que ses pas de danse hésitants ne viennent se rappeler à notre mémoire.
Jouant avec les références, qu'elles viennent de la Nouvelle vague française ou d'un cinéma plus populaire, ne cherchant à aucun moment à théoriser sur son sujet, Wong Kar-Wai signe peut-être son film le plus abouti à mes yeux car spontané et sincère, drôle, frénétique, rafraîchissant et surtout d'une énergie fracassante, peut-être une des oeuvres les plus touchantes sur les rapports amoureux.