Chungking Express de Wong Kar Wai appartient à cette catégorie de films, qu'il faut avoir vu au moins une fois dans sa vie. Selon moi, c'est le meilleur remède contre la dépression et le plus beau de tous les feel-good movies. C'est aussi un film particulier, car en fait il raconte deux histoires différentes, mais chacune centrée sur un flic, les matricules 223 et 633.
Dans la première histoire, le matricule 223 (Takeshi Kaneshiro) achète toutes les boîtes d’ananas dont la date d’expiration est le 1er mai (la date de son anniversaire). Ayant récemment rompu avec sa petite amie, il pense que c’est la date à partir de laquelle il pourra passer à autre chose, s’ils ne se sont pas remis ensemble. Solitaire et ivre, il espionne également une mystérieuse femme portant une perruque blonde (Brigitte Lin) assise seule dans un bar.
Dans la deuxième histoire, apparemment sans rapport avec la première, le matricule 633 (Tony Leung) tombe immédiatement amoureux de Faye (Faye Wong) une serveuse un peu excentrique du snack bar qu'il fréquente quotidiennement. Tout comme le flic 223, il a récemment rompu avec sa petite amie hôtesse de l’air. Repérant sa grande solitude, Faye prend sur elle de "réaménager" son appartement, chaque fois qu’il sort de chez lui (en y rentrant par effraction).
Le réalisateur Wong Kar-Wai a réalisé Chungking Express en 1994, alors qu’il faisait une pause durant la post-production de son film Les cendres du temps, un film d'arts martiaux d'une poésie visuelle incroyable, mais très complexe à monter. Histoire de calmer ses nerfs, il se donne pour mission de réaliser un film plus léger et plus terre-à-terre, en un temps record et sans préparation. Pensé à l’origine comme un film en trois actes / trois histoires, au lieu de deux, le réalisateur a dû couper la troisième histoire, estimant que le film serait trop long. La troisième histoire ne sera pas perdue pour autant, elle sera à l'origine de son film suivant Les Anges déchus (1995). Bien que les deux histoires de Chungking Express ne soient pas liées entre elles, elles racontent finalement la même chose, mais de manière légèrement différente.
Chungking Express parle de solitude, de nostalgie et d’amour. Tous les personnages sont seuls, déconnectés du monde qui les entoure et tristes suite à une déception amoureuse. L’amour vous fait faire des choses étranges et bizarres, parfois. Ainsi, après avoir amassé toute une collection de boîtes d’ananas expirant au 1er mai, le matricule 223 décide de toutes les manger jusqu'à l'écœurement. Alors ça n'a peut-être aucun sens pour vous, mais pour lui, si ! Autre exemple, Faye s'introduit dans l'appartement de l'immatricule 633 et modifie l'emplacement des meubles, sans même qu’il s’en aperçoive. Il est tellement emprisonné dans sa déception amoureuse, qu’il croit presque que les changements qui se produisent dans son appartement en sont le résultat.
Chungking Express parle des opposés contraires qui s'attirent. En outre, j’aime le contraste qu'il y a entre les deux actrices du film. D'une part, nous avons une Brigitte Lin mystérieuse, énigmatique avec sa perruque blonde, belle et terriblement attirante. D’autre part, nous avons Faye Wong, la jeunesse incarnée, fraiche et rebondissante. Tout ressort à travers son jeu, sa danse, son regard et ce magnifique sourire qui vous fait fondre sur place ...
C'est impossible de ne pas tomber immédiatement amoureux d'elle lorsqu'elle danse sur cette chanson emblématique des Mamas and the Papas ... https://www.youtube.com/watch?v=IAH-0GKvIrM&t=67s
Il y a aussi la reprise des Cranberries par Faye Wong, qui surpasse l'originale (de mon point de vue à moi), ce qui n'est pas un mince compliment (RIP Dolores O'Riordan :( ). Et puis cette scène finale quand la chanson démarre juste avant le générique de fin ...
Tony Leung écoute The Mamas and the Papas, la musique préférée de Faye, ce qui en dit long sur son béguin pour Faye Wong. Et puis arrive alors le générique de fin avec la reprise des Cranberries par Faye Wang, j'ai eu un grand sourire sur mon visage ... https://www.youtube.com/watch?v=R0hSKwG_IPk
Quand Faye Wong et Tony Leung sont réunis tous deux à l'écran, c’est magique. Ce qui est formidable avec Tony Leung, c’est que dans tous les films dans lesquels il joue, on s'identifie sans mal à lui ... c'est peut-être l'idéal masculin (comme notre Bebel national) à qui on voudrait tous ressembler.
Même si le jeu des acteurs est merveilleux, avec en tête la sublime Faye Wong, ça ne suffit pas à expliquer pourquoi Chungking Express est un film qui me tient particulièrement à cœur. C'est la mise en scène de Wong Kar Wai qui me fascine le plus ici. Comment a-t-il imaginé tous ces plans d'une telle beauté ? Chungking Express est d'une sensibilité folle et la caméra arrive à capter ça, ce sentiment si volatil. C'est le seul film que j’ai vu post-années 60, qui incarne à ce point la Nouvelle Vague française, celle des films de Jean-Luc Godard et de Claude Sautet. Beaucoup s'y sont essayés, tous s'y sont cassés les dents ... tous, sauf Wong Kar Wai. Il arrive à reproduire ce style si original, agité, excitant et qui bouillonne d’idées fraîches.
On pourrait reprocher à Wong Kar Wai d'avoir voulu faire deux films en un. Le fait de proposer un récit divisé deux histoires distinctes, fait qu'on a forcément une préférence pour l'une ou l'autre des deux histoires. Personnellement, j'ai une préférence pour le couple Faye Wong et Tony Leung. Le montage hypnotique et le travail de caméra capturent une ambiance et un ton si singuliers, qui me rappelle tout particulière le film A Bout de Souffle de Jean Luc Godard avec Faye Wong en parfaite sosie de la superbe Jean Seberg.
Chungking Express est un film inspiré et inspirant, un film tellement audacieux, d'une écriture intelligente, d’un jeu d’acteurs fabuleux, d’une photographie et d'une mise en scène sublimes. Je pourrais revoir ce film à l'infini sans jamais me lasser, il y a tellement de choses que j'aime dans ce film ... et en premier lieu Faye Wong !